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L'hygiène, la misère et la peste
au cours du XVIIe siècle.
[1]

(par Noël Cadéot)



Sceau
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livre écrit à la plume


L'hygiène

A la désolation provoquée par la misère générale et le passage continu des routiers, vint s'ajouter un autre fléau plus terrible, ce mal affreux

... Qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste...

On sait que toutes les maladies épidémiques sans caractère nettement déterminé, étaient désignées par nos pères, sous le nom générique de pestes. Mais la vraie peste, la peste bubonique dite pourpre noir, qui nous vient d'Orient où elle existe à l'état endémique, a fait au cours des âges des apparitions périodiques parmi les populations de notre pays gascon.

C'est au XIVe siècle semble-t-il, que ce fléau, ce cauchemar du Moyen-Âge, eut le plus de virulence. Il s'était répandu sur presque toute l'Europe et une partie de l'Asie. On a évalué à plus de 38 millions le nombre de ses victimes et Froissart a pu dire que durant la grande peste de 1348-49, " La tierce partie du monde mourut ".

On ne saurait contester qu'à cette époque, la médecine ne paraissait pas bien armée pour combattre les effets foudroyants de l'endémie. Le remède primordial consistait à fuir la contagion. Il fallait séparer ou éloigner les contagieux, car la Faculté considérait la peste comme un mal inévitable et imprévisible parce que provoqué par la conjoncton de Saturne, de Jupiter et de Mars.

[...] Affolées, les populations étaient persuadées que le fléau leur était envoyé par l'Ire de Dieu, comme l'assurait d'ailleurs Ambroise Paré lui même, " le père de la chirurgie moderne ". Aussi pour fléchir la colère céleste, les communautés atteintes faisaient dire des prières et des messes. La plupart d'entre elles s'engagèrent, par un vœu, à se rendre chaque année, à époque fixe, en procession expiatoire, vers un sanctuaire proche.

[...]Nous avons été amené naturellement à examiner les causes principales de la contagion et les mesures de préservation et de défense prises contre le fléau. Ces causes d'ailleurs furent partout les mêmes et partout, des mesures identiques furent appliquées.

Les causes de contagion sont nombreuses : le défaut absolu d'hygiène, la misère noire dans laquelle vivait la grande majorité de la population, mal nourrie, mal vêtue, l'insalubrité des habitations, les dépôts d'immondices accumulés sans les rues, les passages incessants des soudars ; tout cela favorisait immanquablement la dissémination de la contagion par les agents atmosphériques.

Si l'hygiène individuelle était défectueuse, on peut dire que l'hygiène publique était inexistante. Les rues livrées aux animaux de basse-cour demeuraient encombrées de fumiers qui gênaient la circulation. Les rues principales habitées par les bourgeois, tous propriétaires terriens, ne faisaient pas exception à la règle ; au contraire. La situation sociale d'un particulier se mesurait, peut-on dire, au volume du tas de fumier croupissant devant sa demeure.

Les fossés d'aisance étaient un luxe inconnu. En 1533 seulement, elles furent rendues obligatoires à Paris, par un arrêt du Parlement, mais pareille obligation ne fut jamais étendue aux communautés rurales. [...]

Les détritus de toutes sortes, abandonnés aux chiens et aux porcs, s'entassaient dans les rues secondaires et les ruelles. [...]

Il va sans dire que les abattoirs n'existaient pas. Les bouchers sacrifiaient les animaux dans la rue, devant leur domicile. Les déchets et le sang se mêlaient aux immondices, activant, sous l'influence du soleil, les innombrables foyers de putréfaction et de puanteur.

Mais la pire des infections génératrices d'épidémies venait à notre avis des routiers et gens de guerre qui portaient le mal avec eux. Circulant librement à travers les pays contaminés, ils propageaient l'épidémie sans s'en rendre compte. Ces bandes de soudars cosmopolites, réceptacle mouvant de tous les vices et de toutes les tares physiques, formées d'un ramassis d'individus sans foi ni lois, méconnaissant les règles les plus élémentaires de l'hygiène, laissaient souvent sur leur passage une traînée de morts qui les débarrassait de leurs éléments infectieux.

Ces gens que rien ne devait effrayer, occupaient souvent des foyers suspects et, délogeant même les habitants de leur lit, ils allaient porter plus loin les germes morbides recueillis au hasard des étapes. [...]

N'était-il pas éminemment dangereux encore, cet usage fort ancien consistant à enterrer les morts dans les églises ? Dans les inhumations hâtives, le dallage mal joint pouvait laisser échapper des miasmes pestilentiels. Cet usage fut interdit dans le diocèce par un mandement de l'archevêque d'Auch du 20 juillet 1773, précédant de trois ans une Ordonnance royale portant la même interdiction, exception faite pour les membres du clergé et les fondateurs ou patrons de chapelles.

Dans son mandement, l'archevêque d'Auch, Jean-François de Montillet, reconnaissant l'abus général d'ensevelir dans les églises dit que de là provient " cet air infect qu'on y respire quelquefois et ces vapeurs qui s'exhalent des tombeaux, sont capables de produire les effets les plus funestes. "

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La misère

La misère, cette grande pourvoyeuse de la peste et son alliée inséparable, fit à elle seule, peut-être, autant de victimes que la contagion. [...] Mais c'est au XVIIe siècle surtout que cette misère atteignit un degré terrifiant.

[...]Effectivement, les pauvres gens se nourrissaient d'herbes, de racines, d'écorces d'arbres, et, quand ils le pouvaient, de pain d'avoine. A la suite d'intempéries, trois récoltes successives avaient été à peu près nulles. Les grains manquaient partout.

Il fut décidé de demander à l'archevêque l'autorisation de prendre des mains du fermier de la dîme épiscopale tous les grains disponibles afin de secourir les infortunés les plus nécessiteux.

L'année suivante fut l'année de peste. La récolte ne put être ramassée. les ressources demeuraient inexistantes et la communauté, chargée de dettes, ne trouvait plus de prêteur. Lorsqu'elle eut à établir son budget annuel des dépenses, elle n'hésita pas à supprimer les gages des consuls, du médecin de la ville, des deux régents des écoles, des valets de ville et la dépense du luminaire que, de temps immémorial, elle entretenait à l'église de la paroisse. Il fallait avant tout essayer d'empêcher les gens de mourir de faim.

[...]Les maisons étaient construites en terre et bois, en colombage, sans couloir, la pièce principale, le cuisine-chambre à coucher, s'ouvrant directement sur la rue, ces habitations se composaient de deux ou trois pièces, petites, basses, froides quand soufflait la bise. La famille, généralement nombreuse, s'entassait comme elle pouvait. De rares fenêtres, toujours trop exigües, laissaient trop parcimonieusement prénétrer l'air et la lumière indispensables.

Le sol de l'habitation en terre battue et presque toujours en contre-bas de la rue ou du jardin attenant, entretenait une humidité permanente dans les diverses pièces. Tout enfin, concourait à débiliter davantage les organismes affaiblis de ses habitants.

[...]Un cas de peste était-il annoncé dans une localité voisine ? Aussitôt la ville était fermée. Une garde de nuit et de jour veillait aux quatre portes des remparts avec mission expresse de ne laisser pénétrer quiconque venait de la direction de la localité contaminée.

Si la contagion s'était manifestée à l'intérieur de la ville ou dans sa juridiction, un consul, assisté du médecin de la communauté, procédait d'abord à la constatation du mal et le faisait annoncer " à son de trompe " afin de prévenir les habitants du danger qui pouvait les menacer. La garde des portes était renforcée. Les foires et marchés demeuraient supprimés. La vie civile, administrative et religieuse était suspendue.

Mais d'abord, le domicile du contagieux était déclaré interdit. Celui-ci, sa famille, toutes les personnes de la maison ne devaient plus avoir de relations avec l'extérieur. De même les personnes qui avaient eu des rapports avec l'infecté depuis le début de la maladie, étaient sequestrées avec lui. Parfois, lorsque la contagion se généralisait au point de rendre trop difficile la surveillance des immeubles frappés d'interdit, on n'hésitait pas à faire barricader les portes du dehors.

Tous ceux qui pouvaient disposer d'un logement ou d'une maison à la campagne fuyaient la localité atteinte. Fuir d'abord ! La fuite semblait le remède le plus souverain. Fuir quelqu'un ou quelque chose comme la peste est devenu une expression courante qui a pris naissance à l'occasion d'une attristante réalité.

Et les fuyards ne pouvaient reprendre possession de leur domicile réel qu'une fois le danger écarté, après une quarantaine obligatoire. En outre, le retour au foyer abandonné avait toujours lieu " après le plein de la lune ".

La frayeur causée par la peste était telle que les mesures de préservation ordonnées furent ou dépassées ou mal interprêtées. Toujours est-il qu'il y eut partout des abus sans nombre. On refusait l'entrée en ville fermée aux étrangers, voyageurs, marchands ambulants ou autres inconnus. Ils pouvaient venir des lieux contaminés ! Nulle explication ne paraissait suffisante pour faire ouvrir les portes qui demeuraient obstinément closes devant eux. Il y eut des protestations dont beaucoup émanaient de personnages de qualité. Le Parlement de Toulouse s'en émut. Il tenta mais vainement d'apporter quelque souplesse à la rigueur des ordonnances.

Un arrêt de cette Cour avait prescrit de fournir vivres et logements à des prix raisonnables " aux allants et venants " dans tous les lieux du ressort. Les juges, consuls et habitants étaient tenus d'y pouvoir, sous peine, par les juges et consuls, de bannissement du royaume, et pour les habitants, du fouet et des galères.

A la première apparition de la contagion, la communauté choisissait parmi ses membres, six personnes qui, sous le nom de juges de santé, étaient chargés de veiller au progrès du mal et de faire exécuter les ordres prescrits par l'assemblée consulaire. Le juge de santé, appelé ailleurs capitaine de santé, avait la surveillance d'un quartier déterminé. Il était aidé dans sa tâche par des dizainiers de bonne volonté.

Le juge de santé ou le dizainier faisait apporter chaque jour par un sergent des consuls, aux malades ou présumés tels qui demeuraient sequestrés, les vivres et remèdes nécessaires. Ces vivres et remèdes étaient fournis par la communauté, mais la période de contagion passée, si la situation sociale du pestiféré le permettait, la communauté lui demandait le remboursement de ce qu'elle avait fourni.

Dans cette tournée quotidienne, le juge de santé devait aussi s'informer de l'état général et des besoins des malades. Ces derniers réclamaient parfois, pour mettre ordre aux affaires temporelles ou spirituelles, le concours du prêtre ou du notaire que le juge de santé allait requérir.

Il n'était pas rare de voir des notaires rédiger dans la rue des testaments qui leur étaient dictés par la fenêtre, ou à bonne distance exigée par les précautions. Le prêtre, au contraire, pour exercer son ministère, avait à pénétrer dans l'habitation du pestiféré. Les ordonnances, en ce cas, lui interdisaient de sortir du domicile avant un délai de 40 jours.

La situation du pestiféré qui n'avait pas de quoi vivre ou se faire soigner à domicile était des plus lamentables. La rigueur inflexible des règlements consacrés par l'usage était d'une férocité cruelle ; elle procédait de cette maxime que tout doit céder devant l'intérêt vital du plus grand nombre. Le malheureux était voué irrémédiablement à une mort pitoyable.

Pour l'éloigner, on le conduisait hors de ville, sur un terrain réservé, clos de barrières ou de haies vives où une hutte de bois ou de branchages sommairement établie constituait son seul et dernier abri. Ce lieu où étaient parqués les pestiférés était dénommé les hutttes.

Les vivres fournis par l'administration consulaire étaient déposées au moyen de longues perches en un endroit déterminé des huttes.

Ainsi, abandonnés de tous, parqués comme des bêtes malfaisantes, les malheureux pestiférés attendaient, en tête-à-tête avec la mort qui allait les délivrer, la fin la plus tragique qui se puisse imaginer.

Pour enterrer les morts de peste, les communautés engageaient, quand elles les trouvaient, des étrangers à la localité, alléchés par l'appât du gain. On les désignait sous le nom de corbeaux. Il leur étaient interdit de se mêler à la population qui d'ailleurs les fuyait, mais aussi de quitter le domicile qui leur était assigné, sans un ordre exprès des consuls ou des juges de santé.

Dans l'accomplissement de leur besogne macabre, les corbeaux utilisaient une sorte de râteau armé de crocs, afin d'éviter autant que possible le contact des corps. Mais quelles que fussent les précautions prises, ils n'échappaient pas toujours à la contagion.

[...]Cependant, les communautés ne touvaient pas toujours facilement des corbeaux à recruter ; la difficulté était plus grande encore pour les petites agglomérations rurales. Dans cette alternative, il incombait à la famille de remplir ce pénible office. Comme l'interdiction de quitter une maison interdite subsistait, on enterrait les morts dans le jardin joignant le domicile.

Aux huttes, les malades encore valides procédaient aux ensevelissements de leurs compagnons de misère. Mais la tradition rapporte qu'à un moment donné, les internés n'ayant pu recevoir une sépulture, les loups du Ramier venaient aux huttes déchiqueter les cadavres abandonnés et s'en repaître.

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Notes

[1] Sources : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France
Bulletin de la Société archéologique
historique, littéraire et scientifique du Gers, Auteur du texte - 1938-07
Midi-Pyrénées - 3ième trimestre 1938.



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© Marie-Pierre MANET










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