La monographie de 1887 de Bénac
Hautes-Pyrénées
département 65.

(ADHP - Monographie établie en 1887)




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La commune de Bénac est bornée par les communes de Lanne et d'Averan ; à l'ouest, par celles de Louey et Hibarette au Nord, par celle de Saint-Martin et Visker à l'est et par celles de Layrisse, Barry et Orincles au Sud.

Son étendue est de 765 hectares environ. Bénac dépend du premier arrondissement et du canton d'Ossun ; elle est à six kilomètres environ de celui-ci et à dix de celui-là. Son territoire est formé d'une jolie petite plaine, de coteaux et de collines, le tout également fertile. Le village est assez aggloméré et se trouve abrité par un éventail de monticules pittoresquement entrecoupés. Au fond de la vallée où il se trouve, coule une charmante rivière, poissonneuse, aux eaux paisibles, décrivant plusieurs capricieux méandres. De là vient son nom : par corruption Bona Aqua - Bonne eau.

Comme tous les villages remontant à une haute antiquité, Bénac possède ses traditions et les restes d'un château féodal, témoignent de son renom. Sur un coteau verdoyant se dressent encore quelques murailles qui défient le temps, ce grand destructeur. A l'époque de la féodalité, le seigneur de Bénac acquit ses titres de Chevalier à la troisième croisade. Une pierre servant de fronton, a conservé cette légende que M. Taine reproduit quand il parle du Sire de Bénac.

" Étant resté sept ans captif en terre sainte,
Le démon à Bénac dans trois jours m'a porté.
Mais déclarant mon nom, on me taxe de feinte.
Pour couvrir un hymen et sa déloyauté,
Mon vieux lévrier j'appelle.
C'est le seul témoin que je trouve fidèle.
Démon ce plat de noix paiera ton transport ;
Et maintenant songeons à la mort,
Je m'en vais me préparer à ce que ton emploi me fait d'inquiétude
. "



Au centre de la commune s'élève une antique église du XIe siècle qui rappelle le style primitif de nos monuments : le style roman. Ce qui la distingue à l'intérieur c'est un baldaquin avec des colonnes et des chapiteaux remarquables. Une tour baissée, jadis servant de télégraphe et aujourd'hui de beffroi semble garder le temple sacré comme une sentinelle vigilante et austère.

A l'époque des guerres de Religion, vers l'année 1574, la Bigorre gémissait dans la consternation et dans le deuil : le protestantisme semait à travers la France le carnage et la dévastation. Les églises étaient brûlées, les abbayes saccagées, les paroisses rançonnées et les habitants massacrés. Tout semblait perdu et Bénac allait voir son église et son monastère de Bénédictins brûlés.

Heureusement, dans le château-fort qui domine la vallée et le village vivait un preux chevalier digne de ses aïeux. Il se battit en brave et la tradition veut que Bénac ait eu sa foi et sa vie sauves. Autour de l'édifice sacré sont groupées les maisons aux toitures pointues, couvertes d'ardoise, autrefois de chaume.

Quoique les habitants soient sans initiative, le progrès néanmoins s'y manifeste sous ce rapport-là ; car les constructions restaurées et les nouvelles surtout indiquent suffisamment que les règles de l'hygiène sont observées avec soin.

De la place qui se trouve au levant de l'église et où croissent une douzaine d'élégants tilleuls qui la couvrent de leurs branches touffues et l'embaument de leurs plus doux parfums, se dirigent des rues et des ruelles en tous les sens. Celles-là sont larges et bien entretenues tandis que celles-ci sont étroites bordées de haies plus ou moins bien taillées qui souvent les obstruent et en rendent l'accès difficile et pénible. Elles font vite oublier la bonne impression que la place et les grandes rues peuvent avoir suscitée. On trouve sur les bords de ces rues étroites des ruisseaux de purin qui, se mélangeant avec des détritus de toute sorte, forment une boue noirâtre et infecte dont l'odeur soulève le coeur : on ne saurait être, ailleurs aussi peu soucieux de la santé des familles et de sa propre fortune, car cette boue ramassée avec soin et portée dans les champs et les prés serait un excellent engrais. Il y a longtemps qu'on l'a dit : un litre de purin représente un kilogramme de froment et deux litres de vin. Une surveillance plus soutenue de l'administration locale pourrait remédier à ce triste état de choses. L'instituteur a beau recommander à ses élèves la bonne tenue des habitations et de leurs alentours ; ses conseils sont méconnus et traités de rêves. Espérons cependant que le bon exemple portera ses fruits et que le siècle ne finira point sans que tout le village n'emprunte un aspect tout nouveau.

Voici maintenant l'école : elle est bien au centre de la localité, à quinze mètres de la rivière de l'Échez, à vingt-cinq de l'église, dix de l'auberge, sur la rue, sans basse-cour pour les récréations, sans rien en un mot qui puisse faire de ce local un sanctuaire agréable pour le développement de l'instruction. On peut en avoir vu de plus spacieuses, de plus élégantes, mais nulle part de plus incommodes. Et, bien que la municipalité n'ait jamais daigné faire le moindre sacrifice pour agrandir ou construire à neuf, ce qui serait nécessaire, indispensable même, l'école a cependant donné des résultats satisfaisants.

Les habitants de Bénac sont des gens assez gais, calmes et de moeurs assez pures ; leur nourriture est substantielle ; aussi il ne faut pas chercher chez les hommes, ni des souteneurs de jeux ni des piliers de cabarets où l'ouvrier dépense le pain de ses enfants. À peine le dimanche soir rencontre-t-on, et pour de fraternelles agapes, quelques jeunes gens riant et quelques chanteurs dont le gosier abonde de notes dissonantes.

Depuis de longues années la justice n'est point intervenue pour réprimer ou punir les perturbateurs de la société et il faut espérer qu'à l'avenir, il en sera toujours de même. Ceci prouve le progrès intellectuel et moral que les générations actuelles savent tirer des progrès de l'enseignement.

La statistique des conscrits indique une moyenne de 98%, possédant une instruction élémentaire suffisante. Mais il faut viser plus haut. Dans dix ans d'aujourd'hui, il ne sortira pas de nos écoles primaires un seul enfant n'ayant pas son certificat d'études primaires.

Le suffrage universel qui nous régit en France a conquis à Bénac, comme ailleurs, son droit de cité. L'empressement que les électeurs mettent à se rendre aux urnes montre suffisamment l'importance qu'on attache, soit aux affaires locales, soit aux affaires du pays. S'il y a encore quelques illettrés, l'amour de la famille, celui de la patrie, et le désir de ne pas faire un monde à part, permettront à nos compatriotes de se rendre un compte plus exact de l'importance et de la grandeur des devoirs du citoyen d'un pays libre. Alors sera réalisée cette parole de M. Duruy :

" Dans le pays du suffrage universel, tout citoyen doit savoir lire et écrire. "

L'instruction ne manque pas en France ; il y en a ; et ce qui fait défaut généralement, c'est le but visé. Il est donné aux jeunes gens d'aujourd'hui une instruction soignée ; toutes les matières des nouveaux programmes sont généralement vues et sues ; toutes sont utiles et non nécessaires. Il faudrait instruire les enfants sur la profession qu'ils doivent embrasser, nous souhaitons que l'instruction soit professionnelle. Ainsi à Bénac ce serait vers la partie agricole qu'il faudrait tourner les vues de l'enfant, l'agriculture étant l'unique occupation de l'habitant. Le seul obstacle qui se dresse devant nous, c'est la routine ; mais les pères de famille, méfiants au début, se rallieront, il faut l'espérer, aux procédés nouveaux ; ils feront répéter à leurs enfants, les conseils et les enseignements donnés en classe, et ils les mettront en pratique. Les expériences et le temps sont deux excellents maîtres.

Nous avons dit plus haut que la population de Bénac est essentiellement agricole ; que son territoire se divisait en terrains francs, terrains calcaires, siliceux et argileux ; ce dernier a la plus forte contenance. Les principales récoltes sont le froment, le méteil, le seigle, l'avoine, le maïs, les pommes-de-terre et le millet : on y cultive très peu le sarrasin, le lin et les plantes oléagineuses. Autrefois il y avait dans les vignes du bon vin blanc en quantité suffisante pour la consommation des habitants de la localité ; aujourd'hui, elles ne donnent plus ou à peu près, et les gens souffrent considérablement de cette privation.

Il y a encore à Bénac beaucoup de châtaignes et d'une qualité excellente, bien appréciée dans le commerce et d'une très grande utilité pour l'engrais des animaux.

Sur le bord de la rivière qui partage la commune en deux parties à peu près égales, se trouvent de belles et vastes prairies arrosables, donnant des fourrages en quantité pour l'entretien des animaux des espèces, chevaline, asine, bovine et ovine :

Bénac n'a pas de commerce proprement dit ; néanmoins il y a les avantages de la ville. On peut, à toutes les saisons de l'année, s'approvisionner en viande en pain, même en vin, naturel ou falsifié. Il y a des épiciers et des ouvriers de toutes les professions. C'est par les villes de Tarbes et de Lourdes que s'écoulent les produits agricoles de la contrée et de la commune.

Les jours de marché, on voit d'interminables files de charrettes attelées d'un cheval ou d'ânesses, se diriger vers la ville, et chargées de maïs, de pommes-de-terre, de haricots, etc.

Mais depuis quelques années que de plaintes entendent ce jour-là les citadins. Hélas ! on ne rentre pas gai du marché. Le plus souvent on n'a pas pu compléter la somme exigée par l'inexorable créancier et l'on rentre dans sa demeure riche d'inquiétudes et de besoins.

Quant au bétail il fait tout l'espoir du bon villageois ; c'est là que réside toute sa ressource : on compte beaucoup de vaches, peu de boeufs, beaucoup de juments, quelques troupeaux de brebis et beaucoup de porcs. La vache rend d'importants services, par son travail surtout, par son lait et par ses produits. C'est un animal qui résiste au travail et qui sait se contenter de peu pour sa nourriture. Rarement on se sert des chevaux pour la culture de la terre et les travaux agricoles ; il ne sert qu'à traîner les voitures particulières, car il n'y en a pas de publiques. Quelques troupeaux de brebis et de moutons viennent tâcheter pendant quelques mois, nos plaines, nos collines et nos coteaux ; mais cela dure peu. Dès que la tonte est faite et les jeunes agneaux vendus, le propriétaire, au commencement du printemps, revend sa troupe.

Il y aurait à réformer en agriculture une grande partie des instruments agricoles qui remplissent mal leur but ; mais l'emploi d'instruments perfectionnés n'est guère possible non plus, à cause des accidents du territoire et de la nature des terrains. Disons que la situation pourrait considérablement s'améliorer par quelques mesures faciles dont voici l'énumération :

- Meilleurs soins à donner au fumier qui ne devrait pas être si lavé par les eaux de pluie ;
- Choix des bonnes graines pour la semence ;
- Utilisation des eaux sur une plus grande échelle pour l'irrigation des prairies naturelles ;
- Emploi des engrais chimiques pour l'amélioration des terres et des prés, surtout de l'acide phosphorique qui donne meilleur grain et meilleur fourrage ; par suite meilleure nourriture pour tout.

Mais la routine des gens de Bénac qui ne veulent connaître que la règle suivie jusqu'à ce jour par leurs ancêtres, est un adversaire terrible où se viendront tomber les meilleures volontés et les plus précieux enseignements.

Sous le rapport de sa situation, Bénac a été admirablement bien doté par la nature ; son climat est assez tempéré ; les voies de communication sont en bon état ; mais la production est insuffisante ; c'est ce qui explique la diminution de la population constatée par les dénombrements qui ont été faits depuis vingt ans. Alors le chiffre de la population s'élevait à près de 1.000 habitants ; aujourd'hui il n'est plus que de 700 environ.

Les gens sont obligés d'aller chercher ailleurs ce que le sol natal n'a pu leur fournir ; il n'est pas rare de voir des familles entières quitter leurs foyers pour aller chercher fortune à l'étranger.

Bénac est au centre des neuf communes qui formaient l'ancienne Baronnie féodale et communique avec toutes par des routes très bien entretenues et partout carrossables : c'est le plus grand progrès qui s'est accompli dans le pays.

La perception des impôts se fait par un percepteur résidant à Bénac.

Sur le parcours de la rivière (l'Échez) la commune possède trois moulins à farine, une batteuse à grains et deux scieries à bois. Un pont en pierre de taille, construit il y a un demi-siècle, relie les deux sections de la commune séparées par le cours d'eau.

Pour le culte, la commune est desservie, de temps immémorial, par un prêtre à résidence et un vicaire.

Bénac possède également un bureau de postes géré par une receveuse.

L'enseignement primaire à l'école des garçons est donné par un instituteur titulaire et un adjoint.

L'installation est incomplète et défectueuse sous tous les rapports, car l'école n'a que 45 mètres carrés de superficie pour contenir une moyenne de cinquante élèves avec deux maîtres.

Le logement de l'instituteur se trouve au premier étage, sur la classe et n'est composé que d'une petite cuisine et d'une chambre à coucher, plus petite que la précédente. Que l'administration juge des améliorations qui y seraient nécessaires.

Malgré cela, l'enseignement s'est maintenu et le nombre des illettrés dorénavant ne sera plus à compter ; il n'y en avait même pas parmi les conscrits de la dernière année.

L'école des garçons a, depuis 1874, une bibliothèque qui contient une cinquantaine de volumes que l'État a donnés.

Malgré les conseils réitérés des maîtres la caisse d'épargne scolaire et la caisse des écoles n'entrent ni dans les moeurs des parents ni des enfants.

Pour l'enseignement des filles, il y a une religieuse nommée institutrice publique et deux adjointes officieuses.

L'installation de cette école est superbe sous tous les rapports, mais il n'appartient pas à la commune.

Le traitement des trois fonctionnaires de l'enseignement primaire est de 1.300 frs pour l'instituteur titulaire ; de 700f pour l'instituteur adjoint et de 900 frs pour l'institutrice.

La commune paie le loyer pour le maître adjoint ; c'est tout le sacrifice qu'elle s'impose.

Pour réaliser les améliorations nécessaires la commune devrait faire le sacrifice d'une douzaine de mille francs, ce qu'elle ne peut ni ne veut faire. Si elle avait eu bien à coeur de réparer ce qui est trop exigu et défectueux, d'acheter un local nouveau ou de construire à neuf, elle n'aurait pas laissé échapper les bonnes occasions que le gouvernement a offertes aux communes pendant plusieurs années de suite. Malgré cette indifférence regrettable, il faudra bien que la commune prenne des mesures, à l'occasion du local des filles, lorsque la loi du 30 octobre 1886, sera mise à exécution.

Le local actuel appartenant à une congrégation religieuse, la commune devra louer ; acheter ou construire : voilà la situation de la commune de Bénac sous le rapport des établissements d'instruction primaire.

Nous faisons les voeux les plus ardents pour que les générations à venir soient plus heureuses et mieux partagées que celles qui se sont succédé jusqu'à ce jour.

L'instituteur public

Bénac, le 8 avril 1887

J. Fréchou.




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© Marie-Pierre MANET









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