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La monographie de 1887 de Bordes
Hautes-Pyrénées
département 65.

(ADHP - Monographie établie en 1887)



Sceau
00036426
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Livre écrit à la plume


I


Bordes est un coquet village situé à 2 km de Tournay et à 16 km de Tarbes. Au nord, il touche au communes de Sinzos et de Clarac ; Peyraube et Tournay le bornent à l'est ; Tournay le borne encore au sud. Enfin à l'ouest, il a pour limites les communes d'Oueilloux, de Lhez et de Lespouey.

Le village de Bordes est bâti sur une riante plaine qu'arrosent le ruisseau de L'Arros et ses affluents. Il compte 173 maisons, toutes couvertes de tuiles, avec des murailles blanches et des volets verts, telles que les rêvaient Jean- Jacques Rousseau.

La population est de 7 à 800 habitants.

Son sol est riche et fécond ; il paie le laboureur de ses peines et quand vient l'époque de la moisson, les greniers s'emplissent et regorgent.

Bordes est arrosé par deux cours d'eau ; le ruisseau de Larros et le ruisseau de l'Arriou Maret.

Le ruisseau de Larros est le plus grand ; il coule dans un lit large sur une nappe de sable fin, à l'ombre des peupliers et des vergnes. Son eau claire et limpide ne se trouble qu'à la suite de pluies diluviennes. Mais alors, le ruisseau entre en fureur il monte avec rapidité, roule d'énormes blocs de pierre, dont les énormes chocs retentissent comme des coups de canon et se répand sur les propriétés voisines qu'il ravage. La crue est subite, mais, heureusement, de peu de durée.

L'Arriou Maret n'est qu'un mince filet d'eau pendant l&apôs;été. Mais, à la suite de fortes averses, il a ses moments de tourmente ; il devient belliqueux, dangereux, et nos paysans le craignent. C'est leur Durance à eux.

On voit que Bordes est favorisé au point de vue de l'eau servant aux arrosages des prairies, il l'est encore sous le rapport de l'eau employée comme boisson ; il possède de nombreuses sources.

Les fontaines du Hassa et du Château sont abondantes, et leur eau est fraîche légère, et agréable.

L'altitude de Bordes est de 267 m à 389; le climat est tempéré, ni chaleurs, ni les froids n'y sont excessifs ; les vents dominants sont les vents de l'ouest ; l'air est sain et salubre.

Le chiffre de la population de Bordes, d&apops;après le recensement de 1886 est de 758 habitants. Ce chiffre tend à diminuer ; et ceci est dû à la soif de luxe qui envahit toutes les classes, ou peut être plus indulgent, à la recherche du bien-être que chacun, de plus en plus, désire posséder. Je m'explique. Nous avons à Bordes quelques habitants qui ont été en Amérique chercher fortune. Ils ont eu du succès et se trouvent aujourd'hui à l'abri du besoin. Comme tous les voyageurs qui ont été par delà les mers, ils aiment à narrer leurs petites aventures et font de l'Amérique du sud des descriptions séduisantes. Là à les entendre, les rues pavées de dollars, et les fleuves roulent des lingots d'or. De tels discours ne sont pas perdus, et chaque année, quatre, à cinq, six jeunes gens s'embarquent à Bordeaux pour l'empire des Incas.

La commune de Bordes se divise en 4 quartiers ; chaque quartier compte 189 habitants.

Le nombre total de feux est de 190. Bordes a 12 conseillers municipaux ; elle a encore un garde-champêtre. Qui émarge au budget de la commune un curé et un percepteur.

Pour les postes, elle est desservie par un facteur de Tournay qui fait deux levées dans la commune, la première vers 8 h du matin, et la seconde vers 2 h du soir.

La situation budgétaire n'est pas brillante : elle n'a pour tous revenus que cent francs environ que lui donne une sablière, située prés de l'Arros, et le produit des coupes affouagères qu'elle peut faire dans le bois communal.

La terre de Bordes est féconde et productive ; la blé, le maïs, la pomme de terre, le seigle, l'avoine, etc, y viennent bien.

La vigne, jusqu'en ces derniers temps, était vigoureuse, et fournissait un vin d'excellente qualité, mais depuis deux ans, elle souffre et s'étiole ; ses rameaux meurent ; après la floraison, les hampes se sèchent, les raisins ne mûrissent pas ; et alors l'aspect des vignes toute jaunes arrache des soupirs de tristesse à nos vignerons. Ils combattent pourtant, nos braves ; et l'année dernière, ils se sont collectés désespérément avec le mildiou. Ils ont traité leurs ceps avec du sulfate de cuivre, le remède a été trouvé bon ; il a produit d'excellents résultats ; aussi cette année, se promet-on de redoubler d'ardeur et de ne pas être avare du sel bienfaisant. Si la vigne ne se montre guère prodigue de ses dons, en revanche, les arbres fruitiers sont d'une générosité sans égale ; poiriers, pruniers, pommiers, cerisiers, pêchers se chargent de fruits, et chaque matin, nos ménagères vont à Tarbes portant des paniers de poires, de prunes, de pommes, de pêches etc. C'est alors le bon temps ; la femme a toujours sa bourse bien garnie, et par elle, un peu de luxe entre dans le ménage.

La commune de Bordes possède une forêt d'une étendue d'environ 76 hectares 35 ares. Les arbres de cette forêt sont tous d'essence chêne.

Nous n'avons pas ici de troupeaux importants. Le cultivateur n'a guère dans son étable qu'une paire de bœufs pour travailler la terre et une vache qui lui donne du lait, sa femme a une basse-cour bien garnie de nombreuses poules y chantent du matin au soir, des bandes de canards et d'oies s'y ébattent et vous entendez constamment les glouglous des dindons criards.

Nous n'avons pas non plus de mines ni de carrières. Nous comptons une scierie et un moulin. Mais, et nous en sommes fiers, il nous est facile, si les choses d&apops;art nous manquent, de nous procurer les choses naturelles.

Les lièvres, les perdrix, peuplent nos champs ; et la truite, le goujon, l'anguille viennent à foison dans l'Arros et l'Arriou Maret. Malheureusement nous ne sommes pas les seuls à avoir connaissance de nos richesses, car les nemrods des environs viennent avec des meutes affamées, donner la chasse aux hôtes de nos guérets, et il n'est pas rare de voir le dimanche, quelques pêcheurs Tarbais venir s'installer sur le bord de nos ruisseaux, la ligne à la main. Souvent, cette ligne n'est que le pavillon d'une autre marchandise inavouable et barbare, je veux parler du chlorure de chaux et de la dynamite. Ces deux substances meurtrières avaient été longtemps ignorées des habitants de Bordes. Elles ne leur sont connues que depuis quelque vingt cinq ans. A cette époque, elles leur furent montrées par les ouvriers qui travaillaient à la construction de la voie ferrée, ce qui prouve que nul bien n'est sans mal ; car, si le village de Bordes a sa station de chemin de fer, ce qui lui facilite les communications avec Tournay et Tarbes, en revanche, ses ruisseaux ne sont plus aussi poissonneux qu'ils l'étaient autrefois.

Bordes a des épiciers, des marchands de jambons et des marchands de drap. Ces derniers ne se contentent guère de la vente qu'ils peuvent faire dans la localité même, munis de grandes voitures, ils portent les marchandises, les jours de marché, à Bagnères, à Lannemezan, à Tarbes et à Tournay. Et c'est là tout notre commerce local.

Selon toute probabilité, le village de Bordes n'a été primitivement qu'un groupe de granges, en patois appelées Bordos ; et c'est de là que notre commune paraît tirer son nom.

Bordes n'a ni histoire, ni traditions, ni légende.

Elle ne compte aucun personnage célèbre; sa langue, c'est un patois qu'on ne saurait classer.

Les habitants de Bordes ont des moeurs simple, mais que l'influence des villes voisines tend à modifier.

Jadis, le paysan ne connaissait que ses champs et ses vignes ; il portait le béret et la veste grossière, des sabots pendant la semaine et des brodequins ferrés le dimanche. Sa nourriture se composait de pain, de pâtes, de choux et de pommes-de-terre, le tout arrosé de bons coups de vin blanc.

Aujourd'hui, il singe le bourgeois ; il voyage à pied, en voiture, et souvent prend une carte de chemin de fer, son paletot est cousu en ville ; sa chemise passe par les morsûres du fer de la repasseuse ; il porte châpeau et enfouit ses pieds et ses jambes dans des bottes à longues tiges et à haut talons. Il dédaigne la traditionnelle écuelle de pâte, il fait la moue quand il n'a pour tout potage qu'une assiettée de soupe aux choux. Il fume, il va au café, il joue aux cartes ; il trouve la bière bonne, les apéritifs délicieux et le billard de son goût.

Résultat final: sa bourse se vide, sa maison tombe, et ses champs passent entre les mains de propriétaires plus avisés.

Les femmes suivent l'évolution des hommes ; elles prennent goût aux toilettes des villes ; elles ne portent plus que des bottines ; elles n'osent pas encore exhiber le bonnet, la capote et le châpeau, mais au train dont elles vont, la chose ne peut qu'arriver à courte échéance, et nous aurons le spectacle de bergères enrubannées comme les bergères des bords du Tage de Florian.

Mais nos ménagères rachètent ce petit défaut de coquetterie, qui est si éminemment français, par de solides qualités. Elles sont, sobres, dures à la peine, et partagent avec leurs maris les travaux des champs. Le seul reproche que je leur adresserai, c'est d'avoir un faible pour les racontars et un certain penchant à se confesser des péchés des autres.

Le peuple de Bordes est policé.

Nous avions un brin de bourgeoisie qui nous enseigne le bon ton et les bonnes manières. On est assez au courant des usages du monde bien élevé. Les hommes préfèrent à l'auberge, où l'on s'enivre, le café, où l'on cause, et où l'on aura l'honneur de voir monsieur un tel.

Les jeunes gens aiment la nouveauté, ils sont à l'affût des danses récentes, des exercices chorégraphiques à l'ordre du jour, des romances sentant encore l'encre du compositeur. Ces romances, ils ne les débitent pas en plein air, mais dedans, dans une chambre bien close et devant une table surchargée de bocks, au milieu d'un nuage de fumée de pipes.

Ils chantent horriblement mal, si vous voulez, avec un sentimentalisme bête, des larmes dans la voix et des trémoussements dans le gosier, mais enfin, ils ne braillent plus sur les rues, comme autrefois, ils ne chantent plus de ses insipides chansons aveugles, de ses complaintes d'assassinat, et s'ils ne montrent pas encore un goût des plus sûrs, s'ils ne sont pas imprégnés du plus pur atticisme, du moins ils témoignent qu'ils ont la volonté et le désir de bien faire. Et en peu de temps, si rien d'anormal ne survient, j'ose affirmer que le village de Bordes sera aussi civilisé que n'importe quel village de France.

Il ne sera pas, si vous voulez, le dernier refuge de la foi. Nos paysans deviennent sceptiques ; les choses de la religion, qu'ils pratiquent pourtant par une habitude invétérée, les laissent froids et amènent sur leurs lèvres un sourire railleur que n'eût pas désavoué Voltaire. Les femmes marchent, sur le terrain religieux, de conserve avec les hommes ; elles rient des dévotes et les méprisent ; elles ont bien encore des croyances, elles pratiquent même ; mais elles croient parce que faire autrement leur co&ucir;terait un effort intellectuel, et elles pratiquent parce que c'est la mode. La foi se perd.

La commune de Bordes possède une salle d'école spacieuse, suffisamment aérée, et jouissant de l'exposition du midi. Il ne manquerait guère qu'un préau couvert avec des appareils de gymnastique pour que les élèves eussent une installation très convenable.

L'école est fréquentée avec assiduité à Bordes. Aussi presque tous les habitants savent-ils lire et écrire, nous ne comptons pas de conscrits illettrés et les registres de l'état-civil sont vierges de la formule consacrée, l'époux et l'épouse ayant déclaré ne savoir.

Nous avons une bibliothèque scolaire fondée en 1865 et qui compte 80 volumes. Le nombre de prêts s'élève à 20 par an.

Le traitement de l'instituteur titulaire est de 1.300 francs et celui de l'instituteur adjoint est de 700 fr que la municipalité de Bordes votât 1.000 francs.

Pour doter la commune d'un préau, et nous nous déclarerions satisfaits, et les élèves avec nous.

L'instituteur public

DUCASSE. (1887)


 

La monographie sur Bordes de 1925









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© Marie-Pierre MANET










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