de Marie-Pierre Manet |
[1] Une fois de plus, Barèges vient d'être ravagé par les avalanches, ce terrible fléau constamment suspendu sur la célèbre station thermale comme une tragique épée de Damoclès.Depuis plusieurs jours, le printemps avait débuté par une série anormale d'intempéries, alors que chacun escomptait la venue du beau temps. Froid, giboulées, chutes de neige se succédaient sans interruption et celle que l'on appelle, par une cruelle ironie, la "fée blanche", s'acculumait en masses effroyables sur les flancs du Capet, où les travaux onéreux entrepris par l'administration des eaux et forêts s'avèrent impuissants pour conjurer les désastres.
Dans la soirée du jeudi 23 mars, une violente tempête soufflait en rafales, semant d'angoissantes inquiétudes chez les Barégeois et ceux-ci, avertis par le souvenir des précédentes catastrophes, s'empressaient d'évacuer leurs demeures pour recevoir une sympathique et cordiale hospitalité chez leurs parents ou amis du bas-Barèges, de Betpouey, de la vallée ou de Luz.
Il était temps. Vers minuit et demi des avalanches se précipitaient simultanément par les ravins du Theil et du Midaou, situés en amont et en aval de Barèges, en causant d'épouvantables ravages dont il ne fut possible de mesurer l'étendue que le jour venu.
En aval de l'hôpital militaire, toutes ces constructions, légèrement édifiées après les avalanches de 1907 et 1915, étaient littéralement anéanties, écrasées par l'avalanche du Theil, qui, après avoir franchi le torrent et la route, s'était propagée jusqu'à l'établissement thermal ; l'hôpital militaire, reconstruit en 1861, avec des murs dépassant 1 m. 60 d'épaisseur, avait résisté victorieusement et protégé les thermes.
Fort heureusement, le Bastan, toujours indomptable, s'était creusé un tunnel sous la masse congelée, sinon celle-ci aurait formé un barrage retenant, vers l'amont, un volume d'eau sans cesse croissant, qui aurait submergé les vallées lors de sa rupture inévitable.
Dans les parages du square de l'avalanche, le ravin du Midaou avait projeté une autre avalanche, beaucoup plus considérable, qui avait enseveli toutes les maisons du quartier. Pendant la nuit du samedi au dimanche suivants, de nouvelles avalanches vinrent augmenter les ruines et Barèges se réveillait en présence d'un épouvantable désastre.
Malgré tous les détails fournis par la presse et en dépit de toutes les photographies publiées sur le sinistre, il est impossible à l'imagination la plus fertile de concevoir l'importance du fléau, l'aspect terrifiant des lieux dévastés, l'impression douloureuse qui se dégage d'une telle catastrophe. Il faut aller voir.
Jusqu'à l'entrée de Barèges, la route, déblayée par le chasse-neige, allonge, sous le ciel brumeux, sa chaussée noire, luisante de pluie, bordée d'un talus neigeux de chaque côté.
Au delà du foyer municipal, on pénètre dans une profonde tranchée, ouverte à la pelle et à la pioche, entre deux murailles verticales, d'un blanc sale, de 6 ou 8 mètres de hauteur en moyenne, piquetées ça et là de branches, de troncs d'arbres ou de racines arrachés aux flancs de la montagne, puis une véritable escalade conduit sur une sorte de remblai de neige supportant la voie decauville où circulent, à la hauteur du second étage, six wagonnets de terrassement. A gauche, le talus est découpé en plusieurs gradins dont le dernier correspond au trottoir des immeubles.
A droite, l'œil plonge dans les maisons sacccagées où l'on voit, au-dessus du bureau de postes, les contrevents brisés à la hache pour délivrer la receveuse et Mme S... prisonnières dans leurs appartements.
En suivant la voie ferrée, à travers une tranchée, on aboutit sur une large plate-forme neigeuse du haut de laquelle les wagonnets sont vidés de leur contenu face au ravin du Midaou ; quant au Bastan, on ne l'aperçoit même pas. Mais si l'on remonte l'amas de neige qui, après l'avoir comblé, a continué sa trajectoire ascendante vers le sud, non seulement on atteint le niveau des toitures, mais sur celle de la maison Fournent, qui comporte deux étages, on se trouve juché sur un talus ayant près de 2 mètres d'épaisseur.
Il faut voir aussi l'intérieur des habitations pour constater l'étendue des dégâts : toits percés, cloisons renversées, parquets effondrés, menuiseries arrachées, mobilier saccagé, lingerie souillée, etc.
A part la neige encombrant la rue Ramond, les maisons suivantes ne paraissent pas avoir beaucoup souffert à l'extérieur, mais dans le quartier des Baraques tous les petits magasins, cafés, etc... disparaissent sous un amoncellement inextricable de neige et de boue, de charpentes et de toitures broyées, de rideaux métalliques, de meubles disloqués. C'est navrant.
Sous l'énergique impulsion de M. Vigroux, ingénieur des T. P. E., une équipe d'une centaine d'ouvriers s'occupe à déblayer la neige au moyen de wagonnets, à ouvrir de profondes tranchées, sans un instant de relâche, avec une telle ardeur que dimanche soir, vers 4 heures de l'après-midi, les autos des ponts et chaussées parvenaient jusqu'à l'hôpital militaire.
N'oublions pas les courageux sauveteurs, dont la modestie ne supporterait pas une citation nominative, ni le rôle prépondérant joué, pendant ces jours terribles, par M. Urbain Cazaux, le sympathique conseiller général, qui s'est dépensé sans compter depuis le début de la catastrophe et qui, inlasssablement, a remué ciel et terre pour rassembler des secours en faveur des sinistrés.
Car, on ne le répétera jamais assez, il y a une œuvre de solidarité à accomplir, il faut remédier le plus tôt possible à toutes ces ruines, il faut aider ces malheureux, qui ont tout perdu, pour leur permettre de reconstituer leur foyer aboli, pour les indemniser des pertes incalculables qu'ils ont subies.
Que chacun appporte son obole selon ses ressources. A une époque où le règne de la force brutale est devenue la loi inéluctable, il est bon de se sentir les coudes. Sinon ce serait à désespérer de l'humanité.
G. LEDORMEUR
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