de Marie-Pierre Manet |
Chirurgiens de peste... ainsi étaient-ils souvent dénommés parce que, aux temps où ce fléau sévissait, leur rôle était "sous le contrôle des médecins" de traiter les complications chirurgicales de la maladie : ouverture des boutons suppurés, pansement des plaies, des ulcères charbonneux et aussi de pratiquer les saignées. Mais ce rôle s'égalait parfois à celui des médecins : tel, le contrat passé le 9 octobre 1654 à Pouyastruc, par devant Me de Prat, aux termes duquel "consuls manants et aultres habitants dudit lieu s'assemblent pour chercher un chirurgien qu'ils trouveraient assez habile pour traiter de la maladie infectueuse et pour désinfecter les maisons."Ces praticiens n'étaient pas comme on pourrait le supposer, des individus quelconques, dépourvus de qualités techniques et morales, des charlatans ou des farceurs comme un Gil Blas de Sentillane. Dès longtemps, les barbiers-chirurgiens étaient soumis à des règlements sévères, étroits sans doute, - ceux des métiers et corporations - mais, dont la stricte observance donnait tout crédit à l'exercice du métier (statut de 1371, de 1465). Ils étaient tenus de passer des examens devant Jury, de composer un chef-d'œuvre (en l'espèce raser et saigner "convenablement"). Aptitude et honorabilité, dira d'eux Alfred Franklin ; - "gens de bien ne faisant pas tort, là où ils allaient", avait proclamé le sire Nicolas de la Framboisière, médecin d'Henri IV, et doyen de Faculté.
Avec les progrès de l'art, les chirurgiens eurent leurs statuts propres en 1691, et se séparèrent des barbiers.
Au cours du XVII e siècle, et particulièrement de 1653 à 1655, la peste sévit, meurtrière, en Bigorre ; des villages, des bourgs virent disparaître les trois-quarts de leurs habitants.
A Vic, dit un document (collection Fontan) périrent tous ceux qui ne s'enfuirent pas. Pour conjurer le sinistre, les gens affolés se tournaient vers le ciel, vers les humains et parmi ceux-ci, vers les spécialistes renommés en la matière, vers les chirurgiens de peste : c'est aux étrangers que les communes faisaient généralement appel. A
Bagnères,- a écrit Lafforgue, - on alla quérir dans Toulouse un maître-chirurgien Dugalin qui vint accompagné de son apprenti ; leur salaire fut fixé à 300 livres tournois pour le premier, à 60 pour le second, - 400 et 60 en cas de contagion, ce qui advint, car tous deux furent "espousés" comme on disait alors.
A Montfaucon, ce fut un auvergnat, Chapsal, à raison de 200 livres (mensuelles). - A Vic, Larose, venu de Chartres, pour 150 livres, etc... La désinfection des maisons se payait à part habituellement, et les comptes d'un sieur Roques (Archives départementales, série gg 41) donnent des prix variant de 3 livres à celui surprenant de 150.
Ces chirurgiens étaient secondés par des "capitaines de santé" chargés surtout du ravitaillement et de l'installation des "huttes" d'isolement, au taux de 250 à 300 livres, et par ceux qu'on appelait les "corbeaux" (probablement à cause du masque qu'ils portaient affublé d'un long nez) : leur salaire était assez misérable (60 à 40 livres à Bagnères), réduit parfois à une pinte de vin par fosse, mais "fournie d'avance" (ainsi à Vic). Pourtant le péril était grand pour ces pauvres hères, chargés de l'ensevelissement et de l'inhumation ; ce sont "les monatti" qu'on trouve dans Manzoni, à propos de la peste de Milan, en 1630. Aussi, malaise était leur recrutement.
Il faut dire que partout où il s'en trouvait, les religieux prêtaient généreusement leur concours ; tels les moines de Médous, à Bagnères, au XVI e siècle.
Et, cependant, malgré tout le zèle et le dévouement de ce monde, l'épidémie allait croissant et s'aggravant. On frôlait l'essence du mal, on ne la découvrait pas. Au XVI e siècle, Fracastor avait fait table rase des superstitions et idées absurdes qui avaient cours en ces temps-là ; dans un éclair de prescience, il avait donné la formule restée classique : isolement et désinfection. Mais dans la pratique, les mesures prises étaient inefficaces, quasi nulles ; - de même que la thérapeutique simpliste ou saugrenue employée ; la vraie cause du mal était ignorée, insoupçonnée. Certes, on faisait une chasse sévère aux chiens et aux chats errants ; on ne songeait pas au rat - d'où venait tout le mal avec ses insectes parasites, vecteurs du microbe.
Aussi, et en désespoir de cause, - les gens croyaient-ils à une influence surnaturelle ; à cette raison première, écrivait La Framboisière, qui n'est autre que "l'ire de Dieu", - le "Ciel en sa fureur", dira la Fabuliste ; - et procédaient-ils à ces conjurations qu'étaient : procession, ex-votos, cierges blancs, obits, édification de chapelles, etc... De ce complexe est témoin le contrat passé à Arreau, le 28 juillet 1654 et que nous donna (Revue des Hautes-Pyrénées 1919) le chamoine Marsan. Les habitants d'Arreaureconnaissaient avoir provoqué le courroux de Dieu et voulaient l'apaiser en invoquant auprès de lui leur saint patron Exupère, ainsi que Saint Roch, en fondant une messe à perpétuité.
Et, ce fut, au cours de ces terribles années 1654-1655 grande pitié pour le peuple de Bigorre "grande misère" - déplorait la municipalité de Pouyastruc, le 4 juin 1657 - "survenue depuis 4 à 5 ans, par suite de gens de guerre, famine et peste". Car il y eut famine dans le pays. Les Grecs connaissaient bien par expérience ces deux fléaux parallèles, auxquels ils donnaient à peu près le même nom : limos ou loïmos.
Certains prophètes de malheur ont laissé entendre qu'une prochaine guerre comporterait, à côté des bombes H.U. ou autres, l'emploi des armes bactériennes, le microbe de la peste inscrit en première ligne. Grâce à Dieu ! nous possédons aujourd'hui des moyens de prévention, de défense et de traitement plus efficaces que ceux utilisés en Bigorre au XVII e siècle. Pour terrasser le mal, la lance de l'archange se forge maintenant dans les laboratoires...
Docteur J. Labougle
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