[1]L'épizootie qui sévit dans le Sud-Ouest de la France dura le 1774 à 1775.C'est en juillet 1774, alors que Louis XVI est roi depuis quelques semaines à peine, qu'éclate dans le Midi de la France cette épidémie redoutable qui va décimer le cheptel. De Bayonne où le mal apparaît, sans doute apporté par les cuirs exotiques, les ravages vont s'étendre au Bas-Armagnac, puis au Condomois jusqu'à l'Agenais, à la Chalosse, au Béarn, à la Bigorre et à la région d'Auch ; l'Astarac, le Magnoac, le Nébouzan et le Comminges ne seront pas épargnés.
La maladie, connue alors sous le nom de Charbon pestilentiel frappait surtout les bêtes à cornes. Sans signes apparents, l'animal tombait comme foudroyé ou mourait en peu de temps d'une tumeur charbonneuse qui grossissait à vue d'œl. La contagion était extrême.
[2]... Les quatre vallées ont fait des pertes énormes.
[3]Dans celle d'Aure, il y avait, avant la mortalité, 9.000 bœufs ou vaches ; il en a péri la moitié ; le mal n&appos;a pas cessé : celle de Magnoac n'a jusqu'à présent pas souffert. Dans la vallée de Neste 2.000 bêtes, il en est mort 1.000 ; le reste est empesté. De 6.000 qu'on comptait dans la vallée de Barousse, il s'en est perdu au moins un tiers. Le pays de Nébouzan composé d'environ 80 communautés qui élevaient environ 12.000 bœufs ne conservera peut-être rien. Le mal toujours croissant achève d'emporter le reste de son bétail... Point de commerce. On ne vend ni grain, ni vin, ni bétail d'aucune espèce si ce n'est des chevaux et des mulets.
[1]Tout d'abord, il parut possible d'arrêter l'expansion du fléau en faisant appel aux populations des localités sinistrées. Une ordonnance du 26 octobre 1774 de l'Intendant Journet, de la Généralité d'Auch, faisait obligation de marquer les bestiaux à la corne, elle interdisait le passage d'une localité à une autre et provoyait l'installation de gardes dans les lieux les plus menacés pour y veiller nuit et jour. Les chefs de famille devaient participer à tour de rôle à cette surveillance et chaque bordier assurait autant de gardes qu'il y avait de paires de bœufs dans la métairie. Les ecclésiastiques, les nobles, même les magistrats étaient priés de venir au secours des autres citoyens.En haut lieu, Turgot, nommé récemment Contrôleur Général des Finances par le Roi, s'inquiéta de l'extension de l'épizootie et demanda à l'Académie des Sciences l'envoi de Commissaires pour étudier les causes de la maladie.
Les mesures prises restaient inefficaces malgré leur sévérité. On abattait les bêtes malades, on creusait des fosses de huit pieds de profondeur, les cuirs furent taillardés pour en empêcher l'usage ; tanneurs, corroyeurs ne pouvaient acheter des cuirs verts qu'aux bouchers autorisés. Ceux qui enfreignaient les ordres prescrits étaient passibles de sanctions. Une ordonnance de l'Intendant en date du 2 février 1775 fait état de peines infligées : ... à Castillon près de Lannemezan, les nommés Daban et Giraudot "ayant acheté sept têtes de bétail atteintes de la maladie contagieuse et ayant conservé les cuirs de ces animaux après abattage" doivent verser 300 livres aux Jurats de Castillon.
La liste des contrevenants est longue et le produit des amendes devait servir en partie "à indemniser les cavaliers de la maréchaussée, les dénonciateurs et les plus pauvres ayant perdu leur bestiaux."
L'extension du fléau décida Louis XVI à faire intervenir l'armée tant pour réprimer les troubles que provoquait le désastre que pour procéder à l'abattage des bêtes contaminées et à la désinfection des étables "avec des herbes aromatiques ou des baies de genièvre macérées dans du vinaigre." L'ensemble des effectifs était placé sous les ordres du Représentant militaire du Roi, le maréchal duc de Mouchy qui venait de succéder au maréchal de Richelieu dans les fonctions de Gouverneur Général de la Guyenne et de la Gascogne à Bordeaux.
Une "Instruction générale pour les troupes enployées contre l'épizootie" fut envoyée le 6 octobre 1775 par le maréchal de Mouchy et confirmait les ordres déjà donnés en insistant sur la formation de cordons sanitaires à la limite des zones contaminées. Les résultats ne furent pas toujours satisfaisants car on se plaint en 1775 que "les troupes ne servent qu'à augmenter la désolation en assommant les bestiaux aussitôt qu'ils paraissent menacés."
L'isolation des communautés amena la cessation de tout commerce, même celui du vin "à égard du vin, il n'y a pas d'autre moyen de s'en défaire que de le vendre aux montagnards, mais depuis près de six mois il leur est défendu de descendre dans la plaine avec leurs bestiaux." Plus d'ouvrages, plus de travaux, c'était la ruine des artisans et des brassiers. Pour assombrir encore la situation, un orage de grêle ravagea une partie du Gers le 29 juin 1775 et l'hiver fut si rigoureux que les rivières gelèrent et que les arbres périrent en grand nombre... Aux récoltes très déficitaires s'ajoutèrent les difficultés de les recueillir et de les porter dans les marchés pour les vendre. Les terres restèrent sans cultures et bien des familles ruinées désertèrent le pays. "Plusieurs grêles généralisées n'auraient jamais causé autant de mal que l'a fait la perte des bestiaux."
On implora le secours divin par des prières publiques, des processions, des messes pour gagner la protection de Saint-Antoine et de Saint-Roch invoqués en temps d'épidémie.
Aux ennuis pécuniaires s'ajoutait un souci pour la tranquillité des foyers, "les hommes ne pourront monter la garde à tour de rôle attendu qu'il serait douloureux pour eux de laisser leurs femmes et leurs enfants à la merci des soldats pendant qu'ils monteraient la garde."
Les doléances des municipalités incitèrent Louis XVI en janvier 1775 à accorder aux sinistrés une indemnité égale au tiers des pertes subies.
Dans les premiers mois de 1776, le mal était en régression ; quelques foyers subsistaient dans la généralité d'Auch et dans les environs de Toulouse. On maintint encore des cordons sanitaires autour des localités sinitrées, puis les troupes rejoignirent leurs unités ; en novembre 1776, les habitants étaient enfin délivrés du logement des soldats.
Les conséquences de cette épizootie furent désastreuses. Les cessation de tout commerce entraîna une forte augmentation du coût de la vie, les familles ruinées connurent la misère, d'autant plus que les rôles des impositions des années 1774 et 1775 montrent que la taille, la capitation roturière, les vingtièmes étaient intégralement perçus sans dégrèvements. Les pertes en bestiaux étaient énormes.[3]
Il fallut faire venir du bétail et, pour remplacer l'ancienne race locale, on fit appel aux bovins de l'Auvergne, du Limousin et du Quercy. Malgré cela, le cheptel demeurera en nombre insuffisant et le monde paysan sera longtemps dans le besoin car cette époque-là, comme l'écrivait en 1783 l'abbé Marconi :
"A la campagne, les bestiaux font la richesse des pauvres agriculteurs.
Perdre la vie ou perdre les bestiaux est un malheur qu'ils mettent presque au même rang."
Notes
[1] Source : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France.
Revue de Comminges
Société des études du Comminges
Société Julien Sacaze - 1885.Notes
[2] Source : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France.
Revue de Gascogne : bulletin mensuel
du Comité d'histoire et d'archéologie
de la province ecclésiastique d'Auch.
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