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Création et inauguration
d'un hôpital militaire à Tarbes
en l'an II (1794)
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Sceau
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Ouvrages en vente
de Marie-Pierre Manet






 

[2]

L'Hôtel des Services qui, dans la ville de Tarbes, occupe un vaste espace situé entre la promenade du Pradeau et la rue du même nom, dont le large portail de fer donne sur la Rue Petite, également dite du Pradeau, a connu des destinées diverses.

(Maintenant, au nord de ce bâtiment, nous trouvons les archives départementales, à l'est, la rue Bruzaud-Grille et au sud la promenade du Pradeau).

Actuellement, et comme chacun sait, il comprend les locaux réservés aux services de la Place et au Cercle des Officiers. C'est un bâtiment militaire, mais qui fut jadis religieux puis profane : religieux lorsque Mrg de Houssay le fonda pour en faire un séminaire de prêtres, dans le même temps qu'il créait le collège : profane lorsque la Révolution en chassa les ecclésiastiques pour établir d'abord une maison de recluses, puis un hôpital réservé aux militaires. Sous l'Empire, en 1810 et en 1811, M. de Chazal étant préfet, il reprit sa destination d'hôpital militaire et recueillit des impotents de la garde impériale et même des Espagnols et des Anglais blessés ou malades. Mais la tourmente passée, il cessa de remplir ce rôle humain pour en prendre un autre, plus paisible ; il devint haras et cela jusqu'en 1818, pour se transformer en manutention dès 1820.

Le 30 avril 1827, les bâtiments redevinrent religieux. Le séminaire y vint à nouveau puiser les éléments de sa mission et la rentrée s'en fit à la fin de cette même année 1827.

Ce rôle s'accomplit jusqu'en 1869 ; en octobre, le vieux séminaire du Pradeau fut abandonné pour le nouveau de la rue de la Moisson (école Jean Dupuy actuelle) ; les prêtres le quittèrent et les mobiles en 1870 l'occupèrent comme casernement pendant la durée de la guerre. C'est en mars 1871 qu'il fut évacué définitivement.

Certains de ces détails sont connus, d'autres le sont moins, peut-être pas du tout et je dois remercier ici M. le chanoine Duffo de l'obligeance (de nouveau mise à l'épreuve) qu'il a bien voulu montrer une fois de plus en nous donnant tous les renseignements complémentaires.

Or, parmi ces détails ignorés des gens, il en est un qui nous a paru présenter assez d'intérêt pour mériter cette communication à la Société : j'entends la transformation qui se fit en 1794 de ce séminaire du Pradeau en hôpital militaire à gestion directe.

Avant 1789, les militaires, malades ou blessés, provenant des troupes soit stationnées soit de passage, étaient traités à l'hôpital Saint-Joseph, anciennement de la Clôture - l'hospice actuel - le seul établissement de ce genre existant alors à Tarbes ; les trois petits hospices dits de la Miséricorde, Saint-Blaise et Saint-Jacques avaient disparu au moment de la Révolution.

C'est en 1776 que cet hôpital Saint-Joseph reçut, pour la première fois, des militaires et ces militaires étaient les cavaliers du régiment de Conty. Peu à peu, il prit vraiment forme et qualité d'hôpital ; car antérieurement, il n'était guère composé que d'ouvroirs, d'ateliers, "recueils des épaves de la maladie, du vagabondage, du vice et des tribunaux", écrit M. Curie-Lassus ; dès 1782, une petite communauté de sœurs de la charité, de l'ordre de Saint-Vincent-de-Paul était fondée et des médecins affectés en titre ; c'étaient M. Dassieu, médecin-chef, M. Pambrun, chirurgien, le premier avec un traitement annuel de 100 livres, le second de 80. Cet hôpital reçut des militaires au cours des guerres d'Aragon et au début de celle des Pyrénées-Occidentales. Mais l'importance des combats livrés, celle des troupes engagées allaient croissant et l'insuffisance de l'établissement apparut telle qu'elle fit songer à son extension ou à son complément. C'est alors, en 1794 (An II) que le séminaire fut désigné pour constituer l'hôpital militaire proprement dit.

Curie-Lassus écrit que, le 7 avril 1794 (soit le 18 germinal an II), Monestier, représentant du peuple pour les Hautes-Pyrénées, avait rendu un arrêté portant que le ci-devant séminaire serait changé en hôpital réservé aux militaires ; l'adjudication pour la réfection de certaines parties du bâtiment avait été fixée au 27 du même mois (6 floréal) ; elle eut lieu devant le citoyen Benassis, commissaire de guerre et le maire de Tarbes, Vergez, ci-devant d'Areit. Le total de la somme s'éleva à 8.500 francs.

A la date du 6 floréal, est envoyé par le comité de Salut Public, un chirurgien , le citoyen Vergez "pour former l'hôpital militaire". Il demandait à cette date son affiliation à la Société Populaire de Tarbes. Le 4 prairial (23 mai), Monestier adressait à cette Société une lettre dans laquelle il affirmait son désir d'assurer aux camarades infirmiers et blessés des asiles commodes et consolants dans le département des Hautes-Pyrénées, et "près des sources thermales que l'Être Suprême fait couler dans son sein pour le soulagement de l'humanité."

En fait, c'est le 22 prairial (10 juin) que fut inauguré, dans l'ex-séminaire, le dit hôpital.

Ce fut une séance solennelle.

Le représentant du peuple Isabeau était venu de Bordeaux lui prêter par sa présence toute son importance et doubler le prestige de son collègue Monestier. La Société Populaire et Montagnarde de Tarbes avait même désiré tenir cette séance dans l'une des salles de cet hôpital et le citoyen Garren en assura la Présidence.

Grand événement, en effet, si on en juge par les nombreuses pages du procès-verbal et par la longueur des discours prononcés. C'est une manifestation politique, anti-cléricale pour tout dire autant qu'humanitaire, et les harangues n'étaient qu'un programme.

Notons que le même jour, à la Convention Nationale, Couthon, déposait le terrible projet de la loi des suspects qui devait faire couler tant de sang et préparer même par un étrange choc en retour la fin brutale de ceux qui l'avaient élaboré.

La séance commença, comme toutes les précédentes, par le rite obligatoire, chants civiques, hymne à la Liberté, lecture de tout ou partie de la Déclaration des Droits de l'Homme. Isabeau prit alors la parole et dut la garder très longtemps tant l'analyse de sa harangue occupe de lignes et de feuillets sur l'énorme in-folio. Nous n'en dirons, pour notre part, que quelques mots, le sujet étant étranger à la question qui nous occupe, et seulement quant aux traits qui pourraient l'y rattacher.

"L'instruction du peuple, dit-il, doit être répandue jusque dans les moindres bourgades pour dissiper l'obscurantisme des esprits ; les sociétés populaires multipliées dans le département, doivent s'attacher à ce rôle capital. Et Monestier d'appuyer la parole de son collègue en déclarant qu'on se saurait trop répandre de lumières, que déjà des "apôtres" étaient partis de cette même société, " chargés de répandre ses lumières dans les campagnes". Ceci n'est qu'un prélude.

La seconde partie du discours d'Isabeau touche plus au vif le sujet. "Le rôle des prêtres doit être supprimé dans l'éducation des âmes. "La confession notamment est une indignité" Laissons-la, s'écrit-il en Espagnol. Et il conclut d'une manière inattendue : il suffira que les jours décalaires dédiés à l'Être Suprême, dans le temple de la Raison, le magistrat (?) paraisse à la tribune et dise "ce qu'il a fait pour le bonheur de ses commettants, S'il n'a rien fait, qu'il regarde le prix de son inutilité : la confession."

Monestier allait donner plus de clarté et de précision à cette étrange logique embrouillée.

Dès que lecture fut donnée par le secrétaire des nouvelles politiques et surtout des succès des armées de la République sur les frontières espagnoles, le citoyen Monestier se leva et parla, dit le procès-verbal, "avec force, cette énergie, cette vérité qui lui sont naturelles", lesquelles force et énergie s'exprimèrent dans une diatribe si violente que j'ai quelque scrupule à en donner à cette honorable société même une très brève analyse : analyse d'analyse, si j'ose dire, car l'excellent secrétaire de la société, très ému sans doute par les accents de cette éloquence, ne put, dit-il, de ce magnifique discours que "recueillir de faibles traits".

L'orateur établit des rappprochements "heureux" des "contrastes frappants" avec ce qui était et ce qui sera. Devant une telle connaissance "les cœurs tressailleront, la joie sera portée dans toutes les âmes". De quoi s'agit-il ? Eh bien ! cette maison était "l'asile du mensonge ; à présent, il sera celui de la vérité". Elle servira à loger les braves qui se battent eux, non à coup d'arguments, mais à coups de baïonnettes et de canons ; ici "des jeunes insensés venaient s'imbiber de préjugés pour aller les répandre sur le peuple" ; ce seront maintenant "de jeunes héros qui viendront reprendre des forces épuisées pour aller de nouveau les employer contre les ennemis de la patrie"... "L'enfant ne passait près de ces murs sans se dire : là sont les persécuteurs qui tournèrent ma jeunesse". Il dira aujourd'hui : Ici sont les héros que je dois imiter. "La jeune fille ne voyait jamais ces portes sans craindre d'en voir sortir celui à qui la pudeur allait immoler les secrets de son cœur... A présent, elle viendra y frapper avec confiance. Ses mains délicates viendront y soulager un père, un frère, un épou, enfin un défenseur de la Patrie. Quelle métamorphose ! Qu'il est agréable pour un représentant du peuple de pouvoir dire : J'ai fait encore une bonne œuvre. (Monestier se reconnaît bien ainsi l'auteur de cette création d'hôpital et de la dite métamorphose).J'ai consacré au soulagement de nos frères d'armes ce qui servait d'asile à la paresse, à l'orgueil, au mensonge, j'ai purifié l'asile du vice en le rendant à l'asile de la vertu."

Une telle harangue, recueillait évidemment les bravos de la société montagnarde, très enthousiaste alors, du moins en apparence, de ces formes grandiloquentes et de ces principes subversifs, et bien que le procès-verbal n'en fasse pas mention, sans doute la musique joignit-elle comme d'habitude ses accords aux applaudissements sur l'air coutumier : "Où en est-on mieux qu'au sein de sa famille ? "

 

La première dit le compte-rendu, celle qui se trouve à l'entrée du premier étage reçut le nom de Salle de la Convention ;

la deuxième dans la ci-devant église[3] celui de salle des Sans Culottes.

La troisième, à l'entrée du deuxième étage s'appelle salle du 17 Pluviôse pour commémorer la glorieuse action qui eut lieu à cette époque dans l'armée des "Pyrénées occidentales contre les lâches Espagnols".

La quatrième, enfin, celle où avait lieu la séance mais dont le procès-verbal ne donna pas l'emplacement, prit le nom de salle de la Montagne.

Le nouveau directeur de l'hôpital, le citoyen Manaut, prit, à son tour, la parole et prononça un discours "plein d'idées et de sentiments", mais donc il ne fut pas donné l'analyse.

Enfin, Monestier présenta pour conclure quelques propositions : l'une d'elles portait que, chaque jour, des commissaires pris dans la société se rendraient à l'hôpital pour s'informer de l'état des malades et rendre compte ; - l'autre que ces commissaires et de bonnes citoyennes seraient invités à accueillir les premiers malades, leur fourniraient les premiers aliments, leur donneraient les premiers soins, leur ménageraient en un mot "une réception telle que des citoyens la doivent à d'autres citoyens qui ont prodigué leur sang pour la Patrie."

Un membre de la société suggéra alors que le procès-verbal de cette séance mémorable fut imprimé ainsi que le discours du citoyen Manaut et que des exemplaires en fussent envoyés aux défenseurs de la patrie sur cette fontière des Pyrénées.

Après quoi, la séance fut levée et très probablement (le P.-V. n'en fait pas mention) aux chants de l'hymne des Marseillais et du couplet habituel "Amour sacré de la Patrie".

Un tel exposé, rend, je présume tout commentaire. La caractère partisan des discours prononcés par Isabeau et surtout Monestier apparaît d'autant plus systématiquement sinon odieux que leurs auteurs étaient d'anciens ecclésiastiques, l'un chanoine de Tours, l'autre de Clermond-Ferrand. Des refoulements comprimés depuis des années d'orgueil et de rancunes s'épanchaient librement, transformés maintenant en haines et vengeance. Et ceci expliqua pourquoi il y eut des gens plus robespierriste et Robespierre.

Cette séance du 22 prairial était un prétexte à manifestation anticléricale, antireligieuse : les Montagnards avaient créé face à l'Eglise, le temple de la Raison ; vis-à-vis de l'hospice civil, ils élevaient l'asile de la Vaillance et de la Vertu civique. Ils se défiaient de celui-là où pourtant ils eussent pu immédiatement et plus facilement, à tous égards, traiter les militaires ; mais ils le considéraient comme suspect de ce qu'ils appelaient "l'idôlatrie". Dassieu, le médecin-chef, avait été arrêté quelques mois auparavant ; la mère Wolf, l'admirable supérieure de la Congrégation, menacée de réclusion menait une existence errante dans les bois de Palaminy. De cette copngrégation, il ne restait qu'une ou deux religieuses, la sœur Rouval et la sœur Carbon dont le frère était pharmacien de l'hospice et qui, l'exemple de dévouement, d'adnégation et de courage, s'étaient désespérément, malgré tout, cramponnées à leur rôle, décidées à ne l'abandonner point.

Ainsi, peut-on s'expliquer l'incident qui, en messidor suivant, le 24 exactement, fit l'objet d'un compte-rendu et d'une plainte des commissaires de la Société Populaire, venus officiellement à cet hospice. Ces commissaires étaient les citoyens sans-culottes : Sylvère, Gabarra, Salières et Estibot. Il y avait dans l'établissement une section réservée aux orphelins "jeunes repentis, dit le procès-verbal nés hors mariage", une trentaine ; leur éductation semble avoir été assurée par les sœurs demeurées à l'hospice. Un hasard fatal voulut que les quatre sans-culottes rencontrassent dans une cour ces enfants qui s'enfuirent effrayés à leur approche. Grande colère s'ensuivit chez les quatre citoyens qui s'empressèrent de relater le fait à la Société Populaire "dénonçant le zèle intempestif des femmes qui élèvent ces orphelins en les instruisant dans les principes mensongers que le peuple a adjurés pour toujours."

Ce fut sans doute l'occasion pour ces braves femmes d'être effrayées à leur tour, de morigéner les enfants, car quelques jours après, la commission constata qu'ils ne s'enfuyaient plus à leur vue : ceci suffit à la satisfaction de leur dignité officielle.





 

Notes

[1] Source : Gallica.bnf.fr
Bibliothàque Nationale de France
Bulletin de la Société académique des Hautes-Pyrénées
Société académique des Hautes-Pyrénées - 1943


[2] © Google Map. [3] Le plan que M. le chanoine Duffo nous a transmis montre que
la chapelle occupait tout le rez-de-chaussée
de l'aile gauche, l'autel du côté de la rue Petite du Pradeau.
La voûte atteignait le 2e étage actuel.

[Plan du site passion-bigorrehp.org]



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© Marie-Pierre MANET






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