de Marie-Pierre Manet |
Valentin Ferré, inventeur du gilet de sauvetage qui porte son nom, est un enfant de Tarbes, où il est né le 07 septembre 1835 de Thomas Ferré et de Francine Castaing, dans la maison de Buron-Bordères, rue du cimetière St Jean. Fils de ses œuvres, comme tant d'autres dont le berceau fut humble, il a conquis depuis quelques années déjà, pour son travail et son intelligence, une honorable situation dans l'industrie parisienne. Il n'est pas un Bigourdan de passage à Paris, ou y résidant, qui n'ait eu de se louer de son accueil chaleureux méridional, et de sa fraternelle obligeance, si sa bonne étoile l'a conduit chez lui. On se réjouira donc, à Tarbes, où il compte de nombreux amis, car il a passé sa première jeunesse du succès de notre très sympathique compatriote, qui est, du reste, trésorier de l'Association des Bigourdans de Paris. Si sa découverte le mène à une fortune exceptionnelle, comme tout semble le faire présager, cette fortune sera certainement méritée par la précieuse protection que son ingénieuse invention assure dès ce jour à la vie humaine.Déjà, la commission des récompenses de l'Exposition Universelle a accordé à son gilet une médaille de Bronze, et le rapport du Congrès International de Sauvetage décidera très vraisemblablement l'État à l'adopter officiellement pour sa marine.
Hier, nous apprenions que Ferré venait d'être nommé "Chevalier de l'Ordre de Bolivar du Vénézuela", à l'occasion d'un sauvetage opéré dans ce pays, grâce à son gilet. Quatre personnes sur le point de périr dans les flots, lui ont dû d'avoir leur vie sauvée par un officier de marine qui, sans l'appareil, se serait noyé lui-même, et qui a voulu que la récompense à lui destinée fût décernée au véritable sauveteur, c'est à dire à l'inventeur. Voici dans quels termes le "Monde diplomatique" du 15 Novembre proclame cette fameuse distinction :
"Nous sommes heureux d'annoncer qu'un de nos amis, M. Valentin Ferré, l'inventeur de ce beau gilet de sauvetage qui a fait l'admiration de tous les visiteurs de l'Exposition Universelle, vient de recevoir du gouvernement des États-Unis du Vénézuela, la Croix du "Buste du libérateur Simon Bolivar". Nous envoyons, à notre ami nos plus grandes félicitations."
"Le Monde diplomatique et le Courrier du dimanche" est une grande revue du monde diplomatique, consulaire, politique, littéraire, militaire, commercial et du monde élégant". (Extrait en date du 15/11/1889 - p4 - c2)
Et nous aussi, nous adressons à Valentin Ferré, nos vives et cordiales congratulations, en faisant les vœux les plus sincères pour qu'à l'exemple de la Compagnie Transatlantique, l'État, par des expériences concluantes et décisives, soit forcé d'adopter pour ses matelots le gilet Ferré, comme la meilleure des sécurités que les spécialistes philanthropes aient jusqu'ici imaginée à l'intention des gens de mer et de rivière. L'eau était un des plus terribles ennemis de l'homme ; mais grâce à notre compatriote Ferré, le monstre qui a tant englouti et dévoré n'en dévorera plus. Il lui arrache sa proie.
On lira, plus bas, empruntée à la Revue de l'Industrie Nationale, la description de cet appareil dont, en résumé, les qualités particulières sont :
1.Grande facilité d'être endossé au moment du danger;
2.Grande commodité, élégance, liberté des mouvements permettant de le porter même en permanence sous un pardessus quelconque ;
3.Garantie de flottaison quelque soit l'état de la mer ;
4.Durée triple de tous les appareils connus, due à l'emploi de la ramie, textile incorruptible;Les visiteurs du Champ de Mars ont pu assister, tous les jours, à d'intéressantes expériences sur le grand bassin, d'une superficie de 4000 mètres, qui était, à lui seul, une des principales attractions de l'Exposition, et où l'on a vu manœuvrer des bateaux de sauvetage de tous genres.
A propos du gilet Ferré et du textile qui concourt à sa fabrication par la formation de boudins semblables aux rayons d'une ruche, et qu'on garnit de liège, nous savons qu'on se préoccupe à Paris de la culture de la ramie en France. Il a même été dit que l'on se proposait à la cultiver dans les Hautes-Pyrénées, et il nous est revenu que l'on regretterait, pour les courageux agriculteurs qui entreprendraient cet essai d'acclimatation, de leur voir faire fausse route.
"La ramie, originaire de la Chine et des îles de la Sonde, ne peut avoir toutes ses qualités que sous les tropiques où l'on en fait jusqu'à six coupes par an. En France, on aurait du mal à en faire trois. Elle n'y aurait pas plus de propriétés que le chanvre comme force dynamométrique, et il ne serait pas plus possible de naturaliser en France la ramie qu'il ne l'est de transplanter du Clos-Vougeot ou du Château-Landon aux environs de Paris, et d'avoir le même vin. Tout cela est subordonné à la question du climat.
Et, outre que la ramie ne peut-être acclimatée en France avec plus de succès que le dattier, il y a encore la difficulté du décorticage ; les machines n'étant pas suffisamment perfectionnées et coûtant fort chères, deviendraient un outil inutile à nos cultivateurs qui ne recueilleraient pas, il s'en faut, dans sa culture et son exploitation les avantages qu'elle donne aux régions tropicales où elle pousse à une hauteur de 1 m 50 à 2 m 50. Dans les pays d'origine, la ramie a trois fois la force du chanvre, et elle est d'une imputrescibilité tellement grande, que dans les sarcophages, sur des momies d'Égypte, on a trouvé des toiles en ramie qui dataient de plus de 4000 ans avant Jésus-Christ." d'après Charles du POUEY.
A mesure que les Sociétés de Sauvetage, déjà si nombreuses et si florissantes se développent, on voit s'améliorer les appareils qu'elles emploient pour venir au secours des êtres en péril. Elles stimulent l'ardeur, le zèle de tous ceux qui sont imbus des idées humanitaires et qui se préoccupent d'inventer des appareils pouvant aider les naufragés à lutter contre les flots. Les courageux et intelligents sauveteurs ne laissent rien échapper de ce qui peut les aider dans leur œuvre. C'est ainsi qu'ayant appris la nature imputrescible du textile, la ramie, qui a, devant lui, un avenir si brillant, ils l'ont aussitôt mis à contribution. Et, c'est un nouveau bienfait, puisque la ramie a besoin d'ardents propagateurs. Elle est déjà bien connue, sans doute, mais non encore utilisée sur une grande échelle, attendu que les machines pour la décortiquer d'une façon convenable et rapide ne sont pas encore complètement trouvées. Le gouvernement ne doit-il pas donner une somme de 200.000 francs à l'inventeur du meilleur appareil de décorticage de ce textile qui donnera tôt ou tard, à la France et à l'Algérie une source inépuisable de revenus.
Le premier appareil de sauvetage où la ramie joue un rôle important est le gilet de sauvetage que l'on a déjà remarqué. Il a rendu, à l'heure actuelle, de grands services et il est incontestablement destiné à en rendre de plus grands encore.
C'est, en effet, un appareil perfectionné, peu gênant et d'une efficacité vraiment surprenante.
Avantage essentiel qui est utile à signaler : il préserve les malheureux tombés à l'eau des coups et blessures qu'ils pourraient recevoir si la violence des vagues venait à les lancer contre des brisants ou des rochers, puisque le liège, grâce à sa souplesse, amortit les coups.
Son poids varie selon les tailles : en général, pour un homme dans la force de l'âge, il est de trois kilogrammes.
On saurait gré au gouvernement de vulgariser le précieux textile qui nous permettra, un jour, de nous passer de certains produits étrangers. On voit, donc, combien il serait regrettable, à divers titre qu'une solution soit tardive à venir surtout après les expériences si concluantes qui ont été faites au Congrès International de sauvetage.
Le gilet Ferré qui est exposé, classe 65, section du matériel de la navigation et du sauvetage a été un des plus appréciés et expérimentés à l'Exposition de 1889 où il a obtenu "une médaille de bronze".
Son prix est de 20 francs.
Nous ne pouvons que rendre hommage à l'inventeur qui a, par la création de cet appareil rendu grand service à l'humanité.
Georges BONNET
Revue de l'Industrie Nationale -
3 ème année - Nº de Novembre 1889 p 2 - c 1
Publiée à Paris sous la direction de M. A. DUBUS
Un des commissaires adjoints à l'Exposition Internationale de 1879.
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