de Marie-Pierre Manet |
[1] La gloire littéraire de Laurent Tailhade, enfant de la Bigorre, est désormais consacrée. Notre Société se devait de commémorer le centenaire de sa naisance - 11 avril 1854), en évoquant certains aspects peu connus de sa peronnalité, tels que se fixèrent ses familiers, notamment Fernand Kolney, son beau-frère, dans une magistrale préface dont sont extraites les notes suivantes.Son portrait : De taille moyenne, Laurent Tailhade avait un profil de noix. Il possédait un beau front découvert au large modelé, aux puissants contours ; le teint était d'ouate. Avec sa face glabre et ses traits déjà amenuisés par la douleur, son masque était celui d'un Antonin. Dans la vie privée, Laurent Tailhade n'était pas l'homme de ses écrits. En rentrant chez lui, il déposait ses flèches de satirique, remplaçait le brocard par le madrigal, ce qui faisait dire de lui : c'est le dernier gentilhomme. Il vivait en poète pratiquant avec le "carpediem", une morale épicurienne ; il charmait ses amis par une conversation étincelante, irisée de mille feux. Il rayonnait de lui une griserie intellectuelle que ne pouvaient plus oublier ceux qui l'avaient une fois savourée. Serviable aux débutants, il encourageait les efforts de ceux qu'il sentait doués et qui lui paraissaient tourmentés, à l'égard de lui-même par le pur amour de l'Art et de la Beauté.
Premiers contacts avec Paris : Riche alors, de l'hoirie de son père, Tailhade avait pris son quartier général à l'hôtel "Foyot" ; fantaisiste et bohême, curieux de toutes choses rares, amateur de festins somptueux et glissant volontiers sa bourse dans la poche d'un ami en mal de pauvreté. Habitué du célèbre café littéraire "Vachette", il était lié avec Verlaine, Samain, Moréas, Jean Lorrain, Maurice Barrès, Rachilde et Valette. Mais, au milieu des Symbolistes, il était resté exclusivement Parnassien. Il fréquentait aussi le "Monde" chez la marquise Maleyssie, chez Mme de Broussac, chez la Princesse de Lanskoy où il fut façonné dans la courtousie et la manière aristocratique. Cette courtoisie de Tailhade charmait non seulement ses amis, mais désormais souvent ses pires ennemis étonnés de se trouver, à l'improviste, devant un parfait galant homme.
Son idéal : La préocupation dominante qui a toujours régi Tailhade fut celle de mettre l'Esthétique au-dessus de toutes autres préoccupations. Il fut obsédé par la subordination des facultés du cœur, l'asservissement de la sentimentalité au culte de l'unique "Beauté" dressée sur le Monde en dominatrice impassible des hommes et des choses.
L'écrivain, l'humaniste : Laurent Tailhade travaillait avec une extraordinaire facilité. Les pensées lui venaient sans recherche, le mot propre s'offrait à lui spontanément. Son érudiction était étourdissante. Il semblait avoir dans l'esprit une bibliothèque alexandrine. Nul mieux que lui ne possédait la littérature antique ou étrangère qu'elle fut allemande, anglaise, scandinave ou italienne ; c'était un spécialiste des lettres espagnoles. Aussi sa prose est-elle riche de toutes les allusions d'art, de la pensée et de beauté qu'ont roulé les siècles. Tantôt éclatante de couleurs somptueuses, tantôt jetant des feux assourdis, tantôt demasquinée comme le lame d'un sabre persan, tantôt irradiant d'extraordinaires métaphores. Sa phrase est apte à saisir et à rendre les plus fugitives émotions esthétiques, les nuances et les dégradés les plus délicats. Humaniste, frère des grands érudits de la Renaissance, son amour des formes pures, son panthéisme, son goût païen de la Beauté, coulent dans sa prose une ferveur continue, une grâce virgilienne qui font battre sa phrase de pulsations rythmées tel un cœur qui s'émeut. Dès lors, il n'est pas téméraire d'avancer que le prose de Laurent Tailhade lui confère un des premiers rangs. Vraisemblablement, la postérité lui attribuera la gloire d'avoir donné à l'esprit du XVIIIe siècle, ce qui lui manquait, la plastique latine.
Le satirique, le pamphlétaire : L'action de Laurent Tailhade, considéré comme satirique et journaliste pamphlétaire, fut véhémente, violente, volcanique même ; mais sincère puisqu'aussi bien ce détracteur des préjugés défensait, comme un paladin à la pointe de son épée, ses terribles polémiques. Sa satire et des pamphlets sont toujours animés de fureur dionysiaque contre la laideur, l'imposture et la tyrannie ; ils sont comme des javelots armés à leur pointe d'un dard d'aspie fatal au panmuflisme moderne. Jamais avant lui, l'ironie vengeresse des faibles, redresseuse de torts, n'avait connu dans notre langue une telle force de pénétration et d'acuité.
Le poète : L'œuvre poétique de Laurent Tailhade s'apparente à celle de son illustre compatriote Théophile Gautier : comme lui, il polissait les facetttes de ses vers, avivait l'éclat des vocables de couleur, ombrait une teinte, atténuait un ton trop vif et donnait ainsi à sa forme un orient parfait. Délicat d'oreille, il chassait les dissonances, époullait les hiauts, les sons discords et se désespérait de ne pouvoir peser les incidents, les mots et même les syllabes à la balance de précision pour obtenir la statique absolue. Certains de ses poèmes sont animés d'un rythme, d'un souffle lyrique, d'une mesure parfaite qui naissent pour s'élever et dominer, s'étendre et renaître en une harmonie qui traduit les mouvements de l'âme transportée par la beauté du monde. Certaines strophes sont un chant qui semble venu de l'Héliade répercuté par l'écho des siècles défunts. C'est la lyre de Théocrite lui-même qui se fait entendre.
Dans d'autres pièces, la méthode s'égrène avec un friselis pareil à celui de la brise automnale secouant d'un premier frisson l'or des grands arbres échevelés. Les rimes tombent mollement pareilles à des feuilles mortes qui éclaboussent de leurs tâches de rousseur la brume bieutée des sous-bois. C'est par un art sans équivalent que la tristesse des choses qui vont peu à peu retourner aux limbes de l'hiver, la nostalgie d'octobre, émane de l'encens précieux des vers qui dégagent un arôme exténué de fleurs mordues par le premier gel nocturne
.Sa mort : Laurent le Magnifique mourut en artiste le 1er novembre 1919, le cœur exempt d'amertume, les lèvres sans lamentations. L'ultime phrase de son dernier article fut :
L'hiver qui vient,
les cheveux qui pâlissent,
les ombres du crépuscule
qui traînent,
conseillent de ne pas fonder
une trop longue espérance
en attendant la nuit.
F. Dorgans
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