de Marie-Pierre Manet |
Souvenirs de sa petite-fille.
Elle est née à Toulouse en 1803 et est morte dans la même ville, à l'âge de 97 ans.En 1848, quelques mois après la mort de Châteaubriand, la publication des ses "Mémoires d'Outre tombe" commençait à passionner l'opinion et à énoncer quelques problèmes sur la vie intime du grand disparu.
Les "Mémoires d'Outre tombe" racontaient sommairement un séjour de Châteaubriand à Cauterets en Juillet 1829 et y situaient l'épisode sentimental qui allait vingt ans après provoquer et dérouter, longtemps, encore, la curiosité des érudits.
"Voilà, avait écrit Châteaubriand, qu'en poétisant, je rencontrai une jeune femme assise au bord du Gave ; elle se leva et vint droit à moi : elle savait, par la rumeur du hameau, que j'étais à Cauterets. Il se trouva que l'inconnue était occitanienne, qui m'écrivait depuis deux ans sans que je l'eusse vue : la mystérieuse anonyme se dévoila : patuit Dea. J'allais rendre une visite respectueuse à la naïade du torrent. Un soir qu'elle m'accompagnait lorsque je me retirais, elle voulut me suivre ; je fus obligé de la reporter chez elle dans mes bras. Jamais je n'ai été si honteux : inspirer une sorte d'attachement à mon âge me semblait une véritable dérision ; plus je pouvais être flatté de cette bizarrerie, plus j'en étais humilié, la prenant, avec raison, pour une moquerie. Je me serais volontiers caché de vergogne parmi les ours, nos voisins... J'ai laissé s'effacer l'impression fugitive de ma clémence Isaure ; la brise de la montagne a bientôt emporté ce caprice d'une fleur ; la spirituelle, déterminée et charmante étrangère de seize ans m'a su gré de m'être rendu justice : elle est mariée".
La petite fille de Léontine de Villeneuve, la Comtesse de Saint Roman, avait pris, avec sa famille, la résolution de garder, en famille, le secret de cet épisode sentimental malgré que le nom de sa grand-mère fut prononcé et eût été exposé aux hypothèses et aux conjonctures qui avaient déjà entouré le personnage mystérieux de cette occitanienne. Dès lors, il n'y avait plus à hésiter, et, pour obéir à ses dernières volontés, il importait de dévoiler à tous ce qu'a été cet innocent roman.
Châteaubriand, lui-même, s'était plu à louer ses vers et à commenter ses lettres en prose. Il lui avait prédit une carrière littéraire des plus brillantes ; l'estime qu'il avouait de ses dons et de son style est manifestée par le soin qu'il mettait à lui répondre.
Dans le milieu "occitanien" de l'Académie fondée par Clémence Isaure, la Comtesse de Castelbajac était comprise et admirée. Ses familiers connaissaient d'elle des pays lauréates et des poèmes qu'elle ne prit jamais souci de faire éditer en volume. Après sa mort, ses Mémoires furent recopiés et relus souvent au cours des veillées familiales.
Voici comment elle était décrite par l'une de ses meilleures amie, Madame de la Martinière :
"Au moral, elle possédait comme certaines Méridionales quelque chose de capricieux et d'attirant. Au physique, son regard était prompt, sa bouche un peu dédaigneuse et son sourire singulièrement doux et spirituel ; ses manières étaient tantôt hautaines, tantôt d'une aimable simplicité. Il y a dans toute sa personne de l'abandon et de la dignité, de l'innocence et de l'art". Léontine de Villeneuve n'aimait pas à produire son acte de naissance. La légitimiste se révoltait en elle contre les termes de l'état civil en 1803 ( 9 pluviôse An XI) ou toutes les particules étaient supprimées ainsi que tous les titres. Son acte de mariage (23 novembre 1829, trois mois après l'entrevue à Cauterets) porte les signatures du maire, Adrien de Rességuier, celles du mari, Joseph Gratien Catherine Louis Raymond Adolphe, Comte de Castelbajac, trente quatre ans, né à Grenade (près de Toulouse) et de Marie Eulalie Léon de Villeneuve, vingt six ans, neacute;e à Toulouse. Le mari était conseiller à la Cour Royale et neveu de Jacques de Cazalès, ancien membre de la Constituante.
Au registre de la cathédrale, ouvert à l'issue de la cérémonie nuptiale du lendemain, en présence du vicaire général Pagan, curé de St Etienne, on lit, parmi les nombreuses signatures et après celles des mariés, les noms de Cazalès, des Villeneuve, des d'Aguin, du Comte de Villèle, des Lordat et des d'Aldéguier.
Le frère de Léontine de Villeneuve devait lui survivre ; mais ses deux sœurs disparurent prématurément : Octavie, une année avant le séjour à Cauterets ; Émilie, à Castres, supérieure du Couvent des Sœurs de l'Immaculée Conception (Couvent Bleu, ainsi appelé en raison du costume azur des religieuses) qu'elle avait fondé, sur la rive gauche de la Durenque.
L'oncle de Léontine de Castelbajac, M de Cambon, son premier répondant auprès de Châteaubriand, mourut en 1836 et fut remplacé, au vingt deux fauteuil de l'académie célèbre de Clémence Isaure, par le mari de l'occitanienne, reçu en séance solennelle le 20 Août 1837 par M Lavergne. C'est lui qui l'année suivante présenta à la vénérable Académie de Toulouse son hôte Châteaubriand, venu, tout exprès dans la cité palladienne. En 1839, Castelbajac prononça l'éloge traditionnel de Clémence Isaure et nous pouvons y lire un passage que nous savons être un hommage ému à celle qui portait son nom, puisqu'il exaltait, en prose fervente, l'influence que les femmes ont toujours exercée, en France sur la littérature.
"Dernière survivante d'un monde disparu, disait un de ses familiers au lendemain de sa mort, Madame de Castelbajac, décédée dans sa quatre vingt quinzaine années, avait conservé jusqu'à la fin, non seulement toutes les qualités de son cœur, une aménité et une bienveillance attractives, mais encore une vivacité d'esprit et une mémoire si fidèle des êtres et des choses d'antan qu'en l'entendant on oubliait son grand âge et l'on revivait auprès d'elle sa jeunesse et celle de cette société aimable d'autrefois."
La Comtesse de Saint Roman nous écrivait : "Dans les dernières années de sa vie, ma grand-mère ne sortait jamais de chez elle. Moins âgée, elle franchissait le seuil de sa maison que lorsqu'il le fallait pour aller en voyage, chez mes parents ou à Auterive. Très délicate de santé, et le croyant surtout, elle était une illusion de femme, une frêle statuette d'un autre âge qu'un rien semblait devoir briser. Nous lui disions, quelquefois, qu'un peu d'air extérieur de mouvement lui ferait peut-être du bien et elle répondait en riant :
"Mes enfants, vous avez vu, dans nos vieilles maisons, de ces armoires anciennes qui sont là parce qu'elles y ont toujours été - tant qu'elles sont en place, elles tiennent et sont même utiles. Mais si l'on s'avise à vouloir les remuer, elles tombent en poussière et on ne peut plus rien faire de leurs débris... Je suis comme une vieille armoire et ne tiens bon qu'à la condition de ne pas bouger."
Elle n'avait d'autre occupation que de lire ou d'écrire. Les travaux féminins lui étaient absolument inconnus. Dans ses moments de repos, elle s'immobilisait dans son fauteuil, appuyée sur une main. Le regard noir de ses yeux doux et lumineux, restés jeunes jusqu'à la fin, se fixait sur des visions lointaines, ses lèvres frémissantes de paroles muettes, semblaient répondre à quelque rêve intérieur. Revivait-elle alors son chaste roman de jadis ? Nul n'eut pu le dire : elle n'en a jamais parlé...
Puis, tout à coup, distraite par une présence, une question ou une idée nouvelle, elle bondissait avec vivacité, se levait, se rasseyait, s'agitait dans son fauteuil, parcourait prestement son salon toute à la question actuelle, quelque futile qu'elle fut. D'une bonté inlassable, elle s'intéressait même aux jeux et aux petites histoires des enfants, aux flirts innocents de le jeunesse. Sa bienveillance était sans limites ; à toute faute, elle trouvait une excuse, une circonstance atténuante, pour tous elle avait un conseil juste et sage, donné d'un mot précis. Quant à ses lectures, c'était sa joie. Tout lui était bon, pourvu que cela l'amusât et l'intéressât. Je me souviens que ma mère, unie à elle par une tendre et filiale affection, lui disait, un jour, en riant :
"Chère Bonne Maman, comment pouvez-vous perdre votre temps à lire "les aventures de Rocambole ?" C'est une littérature indigne de vous !"
"J'ai peut-être des goûts de portière, répondait elle avec gaieté, mais ces absurdités m'amusent et l'on aurait le vertige s'il fallait toujours rester dans les hauteurs !"
Elle se tenait au courant du mouvement littéraire et jusqu'à la fin, aimait à dire que l'esprit, comme le corps, s'ankylosait si on ne lui imposait par une gymnastique continue. L'année de sa mort, elle lu ce qui avait paru d'Edmond Rostand. Cyrano surtout l'étonna et la frappa beaucoup et elle nous dit :
"C'est une nouvelle ère littéraire qui commence."
Elle s'éteignit doucement le 5 novembre 1897 (3 ans avant d'être centenaire) dans les bras de Madame de Saint Roman, sa petite-fille en lui disant :
"Inutile d'avoir une consultation. Toute la science du monde n'y ferait rien. Ce n'est pas une maladie. Je vais mourir d'avoir trop longtemps vécu et voilà tout."
C'était dans la maison où elle s'était réfugiée depuis son veuvage :
3, Jardin Royal à Toulouse.
Elle y était née :
rue place Mage le 31 janvier 1803.
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