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Le marquis de Montespan
à Trie
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de Marie-Pierre Manet


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[1] L'altière Françoise-Athénaïs de Rochechouart-Mortemart ayant, après la douce La Vallière, été choisie comme favorite par le roi Louis XIV, son mari, le marquis de Montespan, a eu le mauvais goût de s'en plaindre. Il a poussé jusqu'au scandale sa protestation contre l'inconduite royale, et Louis XIV s'en est irrité. Le marquis reçoit l'ordre de se retirer dans ses terres. C'est en se rendant au château de Bonnefont, où sa mère l'attend, qu'il s'arrêta à Trie.

Dès que la nouvelle de l'arrivée de M. de Montespan eut été répandue à Trie, on vit toute la gent oisive, batteurs d'estrade, péroreurs à ciel ouvert, affluer sur la place publique qui devint un véritable forum où le fait, discuté comme un bulletin, eut à subir les plus extravagants commentaires. La conjecture qui obtint plein succès fut celle qui flattait le plus l'amour-propre collectif, à savoir que M. le marquis venait de la part du roi consulter le sentiment de la bourgeoisie de Trie, sur ses démêlés avec la Hollande et le traité d'Aix-la-Chapelle.

La seigneurie de cette bastide était toujours restée, depuis son origine, en société (paréage) entre le roi et les seigneurs locaux qui représentaient héréditairement le concessionnaire primitif du terrain. C'était à ce titre que M. de Montespan en possédait la moitié. On savait, en outre, que ce co-seigneur faisait des démarches pour acquérir la part du roi. Les consuls trouvèrent donc la population animée des dispositions les plus favorables, et comme elle était sur la place, ils n'eurent point à employer l'expédient accoutumé de la trompette pour l'assemblée en corps de communauté, dans la salle décorée déjà du nom prétentieux d'Hôtel-de-Ville.

Alors, Philippe Davejean, maître apothicaire, premier consul cette année-là, exposa comme quoi il y allait du devoir, de l'honneur et de l'avenir de la ville de se mettre en règle vis-à-vis du redoutable seigneur, en lui faisant une pompeuse réception. Des applaudissements unanimes éclatèrent de tous les points de la salle.

Et, d'enthousiasme :

1° Le premier consul fut chargé de la harangue, et on lui fit observer que ce n'était pas trop de la nuit entière pour élaborer ce morceau d'éloquence.

2° Messieurs les bourgeois s'engagèrent à improviser une troupe de cavaliers tous bien montés, bien équipés, l'épée au côté, le chapeau bordé de galon ou tout au moins d'un papier jaune qui s'en rapprocherait beaucoup, et orné d'une large cocarde bleue, couleur de la livrée seigneuriale. On vota que ce brillant cortège, en tête duquel devaient figurer les consuls, revêtus de leurs insignes, aurait un étendard, une trompette et deux violons, ce nec plus ultra des procédés galants ; qu'en cet état, il irait au-devant du seigneur et qu'il lui servirait d'escorte jusqu'à son château.

3° Les consuls durent faire choix des trente plus beaux hommes et les mieux faits, lesquels proprement habillés et chaussés, furent armés de fusils et munis de poudre pour manifester l'ivresse publique par de fréquentes détonations. Le commandements de cette troupe, mise au complet par l'adjonction d'un tambour, de deux hallebardiers et de plusieurs espontons, fut confié au capitaine Dat. Une partie eut pour consigne de constituer le poste d'honneur à la porte dite de Miélan où aurait lieu la réception : le reste devait accompagner le carosse ou le suivre au pas le plus accéléré.

4° Des mesures furent prises pour que les couleuvrines et le carillon installés à la tour du clocher, se tinsent prêts à faire le plus de bruit dès que le premier consul aurait terminé sa harangue, ce qui serait indiqué par une décharge en masse de trente fusiliers.

Il va sans dire que la dépense incombait à la caisse communale, y compris les victuailles et les incessantes libations auxquelles tout ce mouvement servait de prétexte. Le règlement détaillé du quart d'heure de Rabelais n'est point la partie le moins intéressante. On y voit, par exemple, qu'au retour de Bonnefont, sur un parcours d'environ huit kilomètres, cavaliers et piétons, bien que lestés d'un bon repas, éprouvaient encore le besoin de faire hâte à Tournous pour y reprendre des forces aux dépens du budget. Tout cela devait entrer en ligne de compte avec le papier doré pour la bordure des chapeaux, le luisant blanc pour les hausse-col des officiers, le luisant bleu pour les cocardes, le fleuret pour attacher les chevaux, le fer-blanc pour les hallebardes, la mousseline pour les drapeaux, les peaux du tambour, et autres articles parmi lesquels il n'est pas possible d'omettre la rétribution du perruquier qui, moyennant douze livres, avait fait l'entreprise de friser les deux compagnies, et suivant l'expression de l'état, de "faire la queue" à tout le monde.

Quoi qu'il en soit, la soirée, la nuit même se passèrent en préparatifs. Aussi, dès le petit jour, chacun accourait à son poste. Le capitaine Dat réunissait ses trente Narcisses choisis pour composer l'infanterie. Il s'assurait par une revue scrupuleuse qu'hommes et fusils étaient convenablement nettoyés, les chaussures irréprochables. Les trois consuls parés de leurs chaperons et robes consulaires mi-paries de rouge et de noir, ce qui était le livrée des villes royales, chevauchaient les premiers la grande place, donnant l'exemple du zèle, tout gonflés d'orgueil en faisant miroiter aux yeux de leurs ménagères l'affublement officiel aux éclatants reflets. Quant au premier consul, il était absorbé par son composition ; d'ailleurs, il ne pouvait faire partie de l'escorte, un devoir plus solennel l'enchaînait à l'entrée de la ville pour y recevoir le marquis et lui administrer son discours. Messieurs les bourgeois, très affairés de leur équipement, se procuraient les montures indispensables ; ils auraient mis en réquisition jusqu'aux juments nourricières, plutôt que de renoncer à la prérogative de leur classe. Ils retiraient de leur vieille ferraille et fourbissaient ces apières archéologiques qui, destinées à devenir des lardoires, allaient revoir le jour sous prétexte d'épées, pendant que des mains plus délicates disposaient l'ingénieux simulacre des broderies, des cocardes fanfaronnes, et que l'entrepreneur de la coiffure publique, courant des uns aux autres, s'ingéniait à faire fleurir sous le ruban, ces appendices chevelus, attribut distinctif des notables.

Ceux des habitants qui n'avaient pas les moyens d'être bourgeois, et que l'absence de grâces physiques laissait sans autre rôle que celui de claqueur, chargés de figurer l'enthousiasme populaire, semblaient protester leur exclusion des hauts emplois en s'occupant à dresser sous la porte d'entrée un arc de triomphe formé de fleurs et de verdure ; mais, en se livrant à ce travail volontaire, tout n'était pas élan généreux ; ils comptaient sur la cruche de vin échappée aux largesses municipales, laquelle venait de temps à autre payer leur coopération et rafraîchir leurs efforts.

Enfin, les trois consuls, à la tête de cette équipée de bourgeois, suivis de la compagnie de fantassins, ayant donné le signal, tout cet affilage s'ébranla et partit aux applaudissements de la foule. Ils atteignirent ainsi le village limitrophe de Bernadets sans rencontrer de voiture de leur seigneur ; et comme ils jugèrent peu prudent de s'aventurer en pays éranger, hommes de cheval et gens de pied, bourgeois et goujats, se confondirent dans les cabarets qui bordaient la route. Ils se livraient à des toasts innumérables pour fêter la bienvenue, quand tout à coup le bruit du carrosse se fit entendre et M. le marquis tomba au milieu de la cohue. A la voix des chefs, chacun regagna précipitamment sa position, puis on reprit le chemin de la ville, non sans quelque dépit du contre-temps.

M. de Montespan, sombre et taciturne, depuis son départ, ne pouvait s'empêcher de sourire en suivant d'un œil distrait les grotesques détails de cette mascarade ; mais ce fut bien autre chose lorsque, parvenu à la porte thriomphale, le premier consul, plus raide qu'un pieu, après avoir majestueusement salué et réclamé le silence, lui tient à peu près ce langage :

"Monseigneur, notre royale cité pourra-t-elle se montrer digne de l'honneur que vous daignez lui faire de passer dans ses murs, en vous rendant au château de vos ancêtres ? Ce n'est point seulement en votre qualité de seigneur que nous venons déposer à vos pieds nos hommages ; nous ne saurions assez honorer la faveur toute particulière dont vous jouissez auprès du grand monarque qui, frappé de votre mérite, a jeté sur vous des regards de prédilection, et vous a fait son privilégié, son favori, ce dont notre ville retire une part de gloire et vous adresse par ma voix les plus vives félicitations."

A ces louanges malencontreuses, la figure du marquis se rembrunit, et s'adressant à son valet de chambre placé en face de lui :

"Entends-tu bien ces sottises. Dupré lui dit-il ; n'admires-tu point ma patience ?"

Le premier consul interpréta favorablement cet aparté ; il reprit, se rengorgeant d'un air satisfait :

"Notre joie est grande de posséder un seigneur si bien en cour, de pouvoir jouir quelques instants de sa présence, mais quels ne seraient point nos transports, si, à côté de sa noble personne, il nous était donné d'admirer sa très digne et très vertueuse épouse, cette reine des grâces et de beauté, cette merveille sans seconde, l'incomparable Athénaïs..."

Et comme à bout d'haleine sur cette autre tirade, le complimenteur s'arrêtait pour souffler :

"Dupré, dit encore le marquis, ne semble-t-il pas que cet homme ait pris à tâche de me pousser à bout ?

L'imperturbable orateur continua en enflant son débit :

"Tous nous faisons des vœux, que dis-je, nous adressons au ciel d'ardentes prières pour que la race vingt fois noble de Montespan d'Antin se propage comme les plantes d'oliviers ou comme la ramure du plus beau chêne !"

A l'émission de ce souhait poétique, l'apothicaire ayant jeté les yeux sur son entourage, il en sortit le cri formidable de :

"Vive la marquise"

conformément à ce qui avait été réglé dans les répétitions du matin ; puis il poursuivit ainsi :

"Votre passage, monseigneur, rappelle celui du grand Annibal, lequel, au dire de l'historien Polybius, traversa ces contrées sur son char, tandis que ses éléphants et ses chameaux..."

Cette fois, le marquis ne put plus y tenir.

"Décidément, Dupré, tu n'as point là quelque houssine ?

Et élevant la voix pour en finir avec cette situation ridicule :

"Monsieur le consul, interrompit-il, votre harangue est superbe, mais je suis très pressé, nous en resterons, si vous le voulez bien, à la savante citation se Polybius, et nous laisserons Annibal et ses bêtes malgré tout l'à-propos..."

Mais cela ne faisait nullement le compte de maître Philippe Davejean, qui ne pouvant perdre sa confiance en un grand succès, restait là, tout ébaubi, les bras pendants, les yeux écarquillés, la bouche béante, semblable à l'image de la stupéfaction.

La première émotion dissipée, il ne voulut pas en démordre, et avec un accent de naïveté sublime :

"Monseigneur, s'écria-t-il, il n'y a plus que deux pages, c'est le plus beau !"

Insistance héroïque, mais impuissante. Le capitaine impatient, à son tour, avait commandé son feu de peloton. Aussitôt les cloches, les couleuvrines se mirent à faire rage ; les acclamations de la foule se mêlèrent à ce concert ; le vacarme devint étourdissant.

M. de Montespan donna du geste le signal de la remise en marche ; et, au moment où sa voiture rasait la tour du clocher pour gagner l'issue d'où l'on tendait vers Bonnefont, il advint qu'une grosse pierre, détachée par ces secousses effroyables, tomba sur une malheureuse femme et l'écrasa à deux pas de lui.

"Corbœuf ! murmura le marquis, est-ce qu'ils vont me secouer leur clocher sur la tête ? Passe encore pour les billevesées et les âneries, mais pas de moëllons : vive Dieu ! hâtons-nous de sortir de ce coupe-gorge et de nous éloigner de tous ces fous...

Le véhicule, entraîné plus rapidement, dépassa sans encombre la porte occidentale, ainsi que la deuxième ligne de fossés, défendue par la barbacane de Notre-Dame-des-Neiges ; l'infortuné voyageur put respirer enfin en reprenant possession de la campagne.

A mesure que se déroulait devant ses yeux le charmant tableau du pays natal, les douloureuses pensées, les poignants souvenirs reprenaient leur empire.

"Hélas ! se disait-il, c'est ici que j'aurais pu vivre heureux ; ici j'aurais mené une existence calme et sereine, tandis que je n'ai trouvé à la cour que des orages, des tourments pour le reste de mes jours, des regrets éternels, le déhonneur !"

Telles étaient les réflexions de M. de Montespan, lorsque le carosse toucha au château.

Au pied du donjon, sur le seuil de la porte d'honneur, la vieille marquise, soutenue par sa camériste, attendait son fils. Elle le pressa tendrement dans ses bras, tandis que d'abondantes larmes s'échappaient de ses yeux éteints, car elle était devenue aveugle.


d'après Curie-Seimbres



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Notes

[1] Sources : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France
En cournè det houéc
Journal des cours d'adultes
du département des Hautes-Pyrénées
Édité par la Société bigourdane d'entr'aide pédagogique
Auteur du texte - 1933.






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© Marie-Pierre MANET







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