La monographie
de l'ours des pyrénées


(par Norbert Casteret)[1]




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Il n'y a plus d'ours dans les Alpes françaises, le dernier fut tué en Savoie en 1921. La chose est indubitable et on n'a pas manqué d'étendre à la chaîne des Pyrénées cette disparition.

Parler de l'ours des Pyrénées soulève souvent sarcasmes et incrédulité.

Mon enfance ayant été bercée par de nombreuses histoires d'ours, et, plus tard, ma carrière de spéléologue et de préhistorien m'ayant mis en quelque sorte en symbiose avec l'ours, nous nous permettons et nous nous complairons à rapporter des faits relatifs à ce fauve encore attardé dans nos montagnes.

Ce faisant, nous espérons, non seulement convaincre les incrédules de la réalité de l'existence de l'ours des Pyrénées, mais aussi et surtout familiariser avec son aspect, ses particularités, ses mœurs, ses faits et gestes.

Quand j'étais enfant, je voyais souvent passer dans mon village natal des montreurs d'ours, et, malgré l'immuabilité du spectacle peu varié consistant à faire se dandiner l'animal au son du tambourin, j'étais toujours attiré, impressionné par ce plantigrande. Peut-être parce que l'ours se tient debout, marche et danse comme un homme, peut-être aussi parce que son regard offre à la fois quelque chose de sournois et de goguenard qui donne une impression d'intelligence et de résignation.

Lui voir exécuter sa danse élémentaire et grotesque en s'appuyant sur un long bâton, puis faire la quête en tenant dans ses " mains " le tambourin où l'on jetait de loin des sous de bronze ; tout cela scandé par la voix rude du belluaire en haillons qui le tenait en laisse avec une longue chaîne, me remuait et m'agitait de sentiments variés dont je ne me lassais jamais.

Le captif, pourvu d'une forte muselière et dont le museau était parfois cruellement percé d'un anneau, avait un air si résigné et si triste que je rêvais pour lui d'une évasion lui rendant, avec sa liberté, sa forêt et sa solitude.

Au lieu de cela, à l'encontre de cet événement chimérique, le pauvre ours devait inlassablement aller de village en village, toujours escorté, harcelé par les chiens qui aboyaient de peur et de colère et dont certains essayaient de le mordre par derrrière.

" Allons Martin, gagne ton pain ", disait l'homme à l'animal qui se dressait alors, tandis que les badauds impressionnés refluaient en grandissant le cercle.

J'étais littéralement captivé, envoûté par l'ours qui symbolisait pour moi le mystère des monts sourcilleux se profilant au proche horizon et nous séparant de l'Espagne. Il devait y avoir à cela une sorte d'instinct, une prémonition de ce qu'à l'âge d'homme je m'intéresserais bien davantage et d'une façon toute particulière à cet animal dont je devais tant de fois recueillir et étudier les squelettes, découvrir les tanières, observer les empreintes sur la neige ou dans la boue des cavernes. Comment aurais pu prévoir alors qu'il me serait donner de déchiffrer sous terre des gravures murales préhistoriques représentant cet animal et de me trouver un jour en face avec un ours statufié, modelé en argile. Car il devait m'être réservé de connaître cette émotion de qualité, ce privilège, de découvrir au fond d'une vaste caverne une telle œuvre émouvante, hallucinante, pétrie par nos lointains ancêtres de l'âge de pierre : la plus vieille statue du monde, dans la grotte de Montespan.

Le Comte Henri Bégouën, le savant préhistoricien ariégeois, me racontait qu'en circulant dans les villages et les hameaux montagnards de la Haute-Ariège, il avait maintes fois vu, allongés près de la grande cheminée où se tenait la famille, des ours en cours de dressage.

Ces animaux capturés alors qu'ils étaient tout jeunes, étaient élevés au biberon et vendus à l'âge d'un an environ à des bateleurs qui entreprenaient le tour de France et parfois le tour de l'Europe et des Amériques.

Cette curieuse et exceptionnelle industrie avait, pour centre, les villages d'Ustou et d'Ercé, situés dans un district particulièrement fréquenté par les ours. À partir de 1910 toutefois, le massacre des ourses suitées et les captures répétées des oursons finirent par affaiblir et raréfier le cheptel des ursidés, au point que les chasseurs furent contraints de cesser leurs rapts et leur commerce d'ours.

Cet ours des Pyrénées - variété de la très nombreuse famille des ours bruns (ursus arctos) - comment se présente-t-il ? C'est au docteur Marcel Couturier, grand spécialiste et auteur d'une monographie magistrale sur l'ours brun, que nous nous référerons.

L'ours des Pyrénées mesure (du bout du museau à la racine de la queue) de 1,70 m à 2 mètres. Quant à son poids, extrêmement variable, il peut accuser de 100 à 300 kilos pour des mâles adultes (350 kilos même pour un mâle tué en vallée d'Ossau).

Détail remarquable pour un aussi gros mammifère, la taille et le poids des nouveau-nés sont exceptionnellement réduits. L'ourson à sa naissance est un être minuscule de moins d'une livre, à peine plus gros qu'un écureuil.

La longévité de l'ours est appréciable, elle atteint une quarantaine d'années. L'animal vit exclusivement en montagne, dans les forêts et les pâturages entre 1.400 et 2.000 mètres d'altitude. Il affectionne les bois touffus, accidentés, les chaos rocheux où il peut trouver des abris, des cavernes qui lui servent de gîte et de tanière. Sa vue est médiocre au grand jour car il s'agit d'une bête dont les habitudes sont crépusculaires, voire nocturnes. Son ouïe est par contre excellente et son odorat très subtil.

D'après le Dr Couturier, il s'agit d'un animal supérieurement intelligent. Dans l'échelle traduisant le potentiel intellectuel des mammifères, il viendrait au quatrième rang, après l'homme, et immédiatement après le chimpazin, l'éléphant et le dauphin. La façon dont il trompe les rabatteurs et s'esquive habilement lors des battues est toujours une source d'étonnement et de surprise déconcertante.

L'ours a une nourriture très variée, il est omnivore ; en précisant qu'il est plus végétivore que carnivore. Il consomme une grande variété de plantes, de racines, oignons, bulbes et rhizomes qu'il déterre patiemment. Il aime les champignons, les épis de céréales et de maïs. Il est amateur de fruits, baies, châtaignes, glands, noisettes, faînes, fraises, framboises, groseilles, myrtilles. Il broute même le gazon. Sa nourriture carnée n'est pas moins variée. En été, dans les alpages, il s'attaque au bétail, où le mouton est sa proie favorite, sans préjudice des chèvres, porcs, veaux, vaches, ânes, mulets et chevaux. Mais il ne mange pas les chiens et encore moins la chair humaine : l'odeur de l'homme - son ennemi juré - lui étant insupportable.

Parmi les animaux sauvages qui périssent sous les griffes de l'ours, on compte le sanglier, l'isard et toutes sortes de petits animaux qu'il chasse et déterre : taupes, campagnols, écureuils, grenouilles, reptiles : sans négliger les escargots, limaces, vers-de-terre et même les insectes, entre autres les fourmis et leurs larves. Il apprécie beaucoup les oiseaux qu'il peut surprendre au nid, et leurs œufs. Il sait pêcher les truites des torrents à coups de pattes. Enfin poussé, par la faim, il se résigne à manger des animaux en décomposition, des charognes.

Une particularité très remarquable de l'ours des Pyrénées est son sommeil hivernal. Cette hibernation s'efffectue habituellement dans une anfranctuosité rocheuse, une grotte, parfois dans un arbre creux, ou sous un sapin dont les branches basses chargées de neige forment une sorte de hutte. L'ours séjourne durant les mois d'hiver dans sa tanière où il a transporté beaucoup de mousse, de feuilles sèches et où il se barricade et sommeille, ne bougeant guère, ne s'alimentant et ne buvant absolument pas. Toutefois ses longs sommes, entrecoupés de réveils ne rappellent en rien l'état de léthargie absolue de la marmotte ou du loir.

L'ours vit alors sur ses réserves, sur la graisse qu'il a accumulée à la belle saison, principalement dans la bosse adipeuse de son garrot. La transformation chimique de la graisse en glycogène permet à l'ours de vivre ainsi sans nourriture, au dépens de ses réserves.

Aux temps préhistoriques où le grand ours des cavernes (ursus spelacus) abondait et où le froid des époques glaciaires était plus sévère qu'actuellement, ces fauves s'enfonçaient profondément dans les cavernes ; les vestiges de cette fréquentation sont parfois très bien conservés et fort instructifs.

Tout spéléologue averti remarque que les ours ne se contentaient pas de trouver dans les grottes un abri contre les intempéries et la lumière du grand jour qu'il craignaient. Loin de se cantonner pès des entrées, ils pénétraient partout ne laissant aucun recoin pour si escarpé qu'il fût, inexploré. C'est surtout dans les parties profondes, hors des galeries de parcours aisés, que j'ai pu constater leurs allées et venues et reconstituer parfois leurs faits et gestes vieux de multiples millénaires. L'ours, en effet, est armé à chaque patte de cinq fortes griffes non rétractiles qui ont laissé sur l'argile plastique des empreintes, lesquelles sont pour l'observateur des documents aussi précieux par leurs enseignements, qu'impressionnants par leurs dimensions et leur ancienneté. Jusque dans des conduits verticaux où l'on peut s'élever qu'en ramonant, comme disent les alpinistes, j'ai toujours été surpris de relever des traces d'ours sur les parois rocheuses enduites d'argile ou de staligmite tendre. Parfois, de longues griffades témoignent éloquemment de leurs efforts et de leurs glissades, et parfois aussi j'ai trouvé leurs squelettes au fond d'oubliettes et de parois abruptes où leur imprudence les avait précipités.

Circulant un jour sur les flancs du Mont Sacon dans la vallée de la Barousse (Hautes-Pyrénées), j'avisai une entrée de grotte surbaissée. J'y pénétrai et me trouvai dans un couloir rocheux très déclive, mais long d'à peine quelques mètres où je fus arrêté par un à-pic de cinq à six mètres de profondeur seulement, mais à parois lisses et verticales. Je réussis à descendre en m'aidant de saillies minuscules et j'eus la surprise d'y découvrir le squelette entier d'un ours qui y avait chu et n'avait pas réussi à s'en extraire. De longues griffades très visibles sur la roche attestaient que l'animal avait fait des efforts désespérés, mais impuissants pour sortir de ce piège naturel. Il s'agissait d'un vieux mâle (l'os pénien l'attestait). Mais je fis une autre trouvaille : les vestige d'un squelette de brebis dont les ossements avaient été cassés et rongés. Il y avait eu, en ce lieu, un drame souterrain évident comportant divers interprétations. Ou bien la brebis poursuivie par l'ours et apeurée s'était réfugiée dans la cavité et était tombée dans l'oubliette où le fauve s'était laissé choir à son tour pour dévorer sa proie. Peut-être aussi que la brebis s'étant aventurée seule dans le couloir en pente et dans l'obscurité, avait chuté dans le petit puits ; (les moutons se réfugient volontiers sous les porches de grottes et avancent quelque peu sous terre pour y goûter la fraîcheur quand il fait très chaud à l'extérieur). L'animal en détresse avait dû bêler longuement, éveillant ainsi l'attention et la convoitise de l'ours passant dans le voisinage. Pour atteindre sa proie, lui aussi devint prisonnier et n'eut d'autre recours que de dévorer la brebis. La faim impérieuse le détermina à broyer les os, à les ronger jusqu'au jour où il mourut de faim après un lente agonie.

On peut se demander comment ces fauves se dirigeaient dans les ténèbres absolues, car l'ours, quoique animal nocturne et crépusculaire et quoique nyctalope n'est pas adapté à la vie cavernicole comme les chauve-souris par exemple qui possèdent des organes et des sens spéciaux. L'œil de l'ours ne peut enregistrer d'images qu'à la faveur de rayons lumineux. On en est réduit et conduit à penser que l'ours se guide dans les grottes grâce à son odorat qui lui permet de retrouver et de suivre sa propre piste.

Dans certaines cavernes on remarque sur les parois, dans les passages retrécis, et aux voûtes quand elles sont surbaissées, un lustrage très net de la roche produit par le passage répété des ours. Parfois certains rochers, voire de stalagmites, ont servi aux ours à se gratter et ont gardé un poli remarquable. Ceux qui ne sont pas familiarisés avec ce genre d'observations pourraient croire à une exagération quand nous signalons le polissage de la roche ; mais on n'a qu'à se remémorer certaines marches d'escaliers en pierre creusées par les pas, certaines rampes polies par le frottement séculaire des mains ; l'usure et la patine de certaines statues ou reliques produites par les lèvres des fidèles et des pélerins, ou encore le lustrage de troncs d'arbres ou d'angles de murs produits par le passage du bétail.

Enfin, sur le sol terreux de maintes grottes, on remarque que de nombreuses dépressions rondes ou ovales en forme de cuvettes d'un mètre ou un mètre cinquante de diamètre, pour une profondeur de soixante à quatre-vingts centimètres, et qui ne sont autre chose que des "nids" d'ours. C'est là qu'ils ont creusé des alvéoles caractéristiques qui leur servaient de bauge au cours de leur sommeil hivernal. C'est là également que les femelles mettaient bas.

La multitude de ces "couchages" d'ours, serrés, tangents, dans des galeries à sol terreux donne une idée de la densité de peuplement dans certaines grottes. La présence, l'abondance de squelettes d'ours que l'on retrouve sous terre démontre aussi que ces animaux s'y retiraient pour y mourir.

Comparé au peuplement ursin des temps préhistoriques, on constate que les ours se raréfient de par le monde. Il ne serait pas exact en effet de prétendre que l'ours abonde dans les Pyrénées. Il y est au contraire très clairsemé et en voie d'extinction. D'année en année (et quoique la chasse en soit interdicte), l'ours régresse et disparaît devant le progrès, l'industrialisation de la montagne (barrages de lacs, usines hydroélectriques, chantiers de mines, exploitations forestières, multiplication de stations d'altitude et de sports d'hiver, perfectionnement des armes de chasse, braconnage et empoisonnement).

Seule, peut-être, la création, récente, des parcs naturels et de réserves, où le gibier sera protégé, mettra un frein à la disparition de l'ours des Pyrénées. Ce dernier, représentant des grands fauves contemporains de l'homme des cavernes, est actuellement en grand danger de disparaître, comme ont disparu successivement, en grande partie de la main de l'homme, le bison, le cheval sauvage, le loup et bien d'autres espèces.

Avant de rayer peut-être définitivement, l'ours brun de la liste des hôtes de nos montagnes il est peut-être intéressant d'énumérer quelques-uns des derniers chasseurs d'ours des Pyrénées et de rendre compte de leur tableau de chasse. Ce bilan est bien malencontreux, mais il ne fut pas dressé sans mérite par des chasseurs courageux, isolés et armés de vieux fusils. Ils luttèrent, pourrait-on dire, à armes égales avec un animal actuellement pourchassé, craintif, mais qui fut au cours des âges un ennemi redoutable pour l'homme.

C'est encore grâce au Docteur Couturier que nous pourrons faire état de la liste de certains de ces chasseurs célèbres, tous montagnards, de conditions très modestes, opérant par passion de la chasse et aussi par esprit de lutte bien naturel.

Maurice Py (1741-1831), de Cauterets, a tué dans le massif du Vignemale 21 ours qu'il chassait à l'aide d'un fusil à pierre à un seul coup. Il fut blessé dans un corps à corps.

Jean Py, neveu du précédent, abattit 15 ours.

Jean Loustau (1800-1880), cordonnier et garde-champêtre, chassa dans la vallée d'Ossau où il tirait avec un fusil à piston. Il tua 18 ours dont un animal de taille exceptionnelle qui accusa le poids de 350 kilos. Il tua son dernier ours à l'âge de 74 ans. Il en aurait tué bien davantage si - comme d'autres de ses collègues - il n'avait servi de guide à des citadins désireux aussi de tirer l'ours.

Bonnecaze dit "Cordet" (1810-1860), chassait dans la haute vallée d'Aspe où il avait tué 55 ours.

Lamazou, mort en 1910, avait 40 ours à son actif.

Toussaint Saint-Martin, né en 1881, fut guide et chasseur d'isards, de sangliers et d'ours. Lorsqu'il chassait pour son compte personnel, il opérait en solitaire. Il avait seize ans lorsqu'il tua son premier ours et en abattit 29 au total. Il en fit tuer une douzaine à ses clients.

Auguste Authier, dit "Tambel", né en 1885, opérait dans un district de l'Ariège où l'ours n'était pas très commun et où, cependant, il réussit à en abattre 13. Il les traquait à la piste dans la neige, toujours seul.

Bernard Apiou, né en 1876, cultivateur et guide du Club Alpin tua 9 ours en vallée d'Aspe.

Sarrieu, de Saint-Mamet, près de Luchon, en tua une quinzaine.

Les chasseurs, ci-dessus cités, tuèrent dont 215 ours. Quantité d'autres chasseurs, moins acharnés, moins spécialisés, en tuèrent et continuent d'en tuer, soit un seul, soit plusieurs au cours de leur carrière.

Vers 1910, bon an mal an, on en tuait 8 à 10 dans les Pyrénées, sans préjudice de ce qui pouvait se passer sur le versant espagnol et dans les Pyrénées Cantabriques.

Mais, les Py, Loustau, Saint-Martin, Authier, etc..., représentent les derniers, les plus caractéristiques et les plus pittoresques descendants des chasseurs d'ours de la préhistoire qui, eux, eurent à se mesurer avec le gigantesque ours des cavernes d'espèce éteinte. Ces fauves redoutables abondaient à l'âge de pierre, et l'homme dut souvent lui disputer les asiles souterrains.

Que de terribles scènes durent se dérouler entre ces ours géants et les faibles hommes qui s'aventuraient sous terre à la lueur de torches fumeuses ! Que de tragiques rencontres suivies de combats affreux où les armes rudimentaires de nos lointains ancêtres ne devaient que rarement triompher !






Notes

[1] Source : gallica.bnf.fr
Revue de Comminges - 1885
Société des études du Comminges
Société Julien Sacaze.


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