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Superstitions locales
Le fer à cheval.
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Sceau
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[1] Nous connaissons depuis longtemps cette croyance qui attribue au fer à cheval usé et perdu sur la route des propriétés merveilleuses. C'est une amulette précieuse qui porte bonheur à celui qui la trouve et la conserve dans son domicile. Avec quelques rubans, ce fer, usé par le frottement des routes, ne fait pas trop mauvaise figure comme ornement sur les murs de quelques salons de notre bourgeoisie.

Cette pratique est probablement conservée dans les couvents par les jeunes filles désireuses de mettre de leur côté le plus grand nombre de chances pour faciliter l'apparition du prince charmant qui viendra bientôt les demander en mariage, et la noire sorcellerie est ainsi devenue gracieuse en revêtant les dehors d'une fée secourable : la fée illusion.

D'ailleurs, cette croyance aux amuletttes est commune à tous les pays ; elle vivra longtemps, malgré tous les progrès de la science.Ceux qui s'en servent diront : "Je n'y crois certainement pas ; mais, cependant, si..."

Nous n'aurions pas songé à parler de cette croyance naïve aux amulettes si nous n'avions remarqué que dans le cas présent le culte du fer à cheval n'était que le premier degré d'une pratique curieuse où la croyance aux vertus surnaturelles de ce fer spécial s'affirme davantage et n'est plus aussi enfantine.

Si, partant de Bagnères en voiture, vous examinez, en passant, les arbres qui bordent la route nationale vers Tarbes, vous verrez ou vous avez vu quelques arbres sur lesquels sont enfoncés d'énormes clous, à hauteur d'homme. Ces clous ont l'air d'avoir été placés là pour suspendre les outils ou les vêtements des travailleurs des champs. Combien grande est votre erreur. Approchez-vous pour examiner ces arbres et vous verrez que ce que vous prenez pour un clou ou un morceau de branche n'est autre que la moitié d'un fer à cheval enfoncé dans l'écorce et recouvert de mousse.

Entre Horgues et Laloubère, notamment, nous avons compté, sur le côté gauche de la route, quatre de ces arbres ainsi marqués. La courbe du fer souvent tournée vers la terre indique clairement que cette nouvelle espèce de clous n'est pas utilisée comme support ; cette pratique n'est probablement autre chose qu'une mode d'envoûtement des arbres.

Très souvent, on remarque, sur le bord des routes nationales, des arbres dont l'écorce est enlevée circulairement sur une certaine hauteur. Ces arbres meurent à la suite de cette mutilation et le service des Ponts et chaussées les enlève bientôt pour les remplacer par d'autres qui subiront à leur tour le même sort.

Ces arbres, dont l'ombrage est si utile aux voyageurs des routes, sont condamnés à mort et meurent assassinés parce que leur ombre porte préjudice aux champs avoisinants.

Mais ce mode d'assassinat est dangereux à pratiquer ; un voisin jaloux peut, en effet, avertir le garde-champêtre ou les autorités et faire surprendre le délinquant en flagrant délit de destruction de la propriété publique.

Aussi les intéressés ont-ils cherché d'autres moyens de tuer un arbre sans laisser de traces apparentes.

Une méthode, en usage dans notre pays, pour se débarasser d'un arbre gênant, est de pratiquer vers la base, avec un vilebrequin, un trou profond arrivant jusqu'au centre de l'arbre. Si au fond de ce trou on place une gousse d'aïl et que l'on ferme l'ouverture avec de la terre, l'arbre meurt empoisonné au moment de la germination.

Cette manière de procéder, moins apparente que la précédente, présente les mêmes inconvénients et le délinquant peut être pris en flagrant déit de perforation du trou, ou bien le voisin jaloux, qui existe toujours dans les campagnes, peut rendre cette manœuvre illusoire en broyant la gousse d'aïl au fond de son repaire.

Avec le fer à cheval coupé en deux tronçons et planté à une certaine hauteur, rien à craindre : le dommage immédiat est nul, et son caractère mystérieux lui garantit le respect des voisins.

Personne n'osera l'arracher de voir retomber sur soi mille maux inconnus.

Ce fer, usé par un travail quotidien, est devenu possesseur de propriétés d'autant plus énergiques que l'usure a été plus grande ; on croit qu'une partie de la force du cheval qui le porte a pu se condenser dans ses molécules, et que cette force appliquée sur un arbre s'oppose à la montée de la sève et au développement des organes.

Ce phénomène de condensation de la force vitale dans un objet inanimé est une croyance courante en sorcellerie, on la retrouve dans la plupart des faits d'envoûtement pratiqués encore aujourd'hui. Car si une grande partie des hommes ne croient presque plus à ces pratiques mystérieuses, les femmes y croient fermement, et n'ayant effleuré que très peu l'instruction obligatoire et pas du tout le service militaire, elles ont conservé, modernes Vestales, ces traditions qui, sans elles, seraient depuis longtemps tombées dans l'oubli.

Je disais que les hommes n'y croient presque plus, ils y croient donc encore ? Malheureusement oui. Notre paysan moderne est plus instruit au point de vue de l'écriture et des quatre règles ; il lit les journaux et tend de plus en plus à ouvrir son esprit aux idées générales. Mais au fond et dans le vie pratique, par suite, évidemement, d'influences ataviques qui le mènent malgré lui, il est la proie de la routine. Il considère d'un œil méfiant et même hostile toutes les innovations qui viennent troubler sa manière de vivre ; il fait comme avaient fait son père et ses aïeux et il repousse de parti-pris, sans vouloir raisonner, tous les modernes conseils scientifiques hygiéniques, industriels ou agricoles.

Quoique parfois riche, il est hanté par la peur de la misère du lendemain ; son univers est le lopin de terre que lui ont légué ses ancêtres et qu'il ne songe qu'à élargir ; tout ce qui n'est pas dans ce cercle étroit de ses pensées, il le considère avec une méfiance instinctive et irraisonnée.

Les vieux avaient toujours fait comme cela, pourquoi changer ? Et malgré l'évidence des progrès possibles, ils ne changent pas. Les habitudes se continuent ainsi malgré tout ; l'argent, si pénible à gagner, n'est dépensé qu'à la dernière extrémité, lorsqu'on est forcé de le faire ; le vétérinaire et le médecin ne sont appelés que lorsqu'on a essayé en vain tous les vieux procédés d'onguents et de tisanes, bien souvent lorsqu'il n'est plus temps ; les réparations et entretiens à l'étable ou à la maison, l'achat d'instruments utiles, ne se font qu'après avoir longtemps soufffert ; il ne faut pas dilapider le patrimoine, ni toucher à des réserves de louis d'or quelquefois considérables.

Aussi, ne faut-il pas s'étonner que les pratiques de sorcellerie, souvent mêlées de bizarres mélanges religieux, se conservent encore dans les campagnes. Les bestiaux tombent souvent malades par défaut d'hygiène à l'étable ; le champ mal fumé donne peu de récolte ; le char vieux et usé se rompt par intermittences, tout cela est un sort jeté ; tout cela peut être guéri par des prières spéciales et des pratiques dont les femmes conservent soigneusement la tradition. Il faudra encore bien des années pour détruire ces pensées ancestrales.

Dr Lafforgue (1896)
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Notes

[1] Sources : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France
En cournè det houéc
Journal des cours d'adultes
du département des Hautes-Pyrénées
Édité par la Société bigourdane d'entr'aide pédagogique
Auteur du texte - 1935.






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© Marie-Pierre MANET







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