[1]C'est à un Pyrénéen authentique, à un vrai fils de nos montagnes, que s'adresse l'hommage que la Société Académique des Hautes-Pyrénées
a voulu rendre à Achille Jubinal, son fondateur.
![]() | C'est dans le milieu romantique de 1830 qu'il grandit, et l'influence de ce milieu intellectuel sur le développement
de son esprit devait être décisive. Il fut un des membres de cette jeunesse enthousiaste de Victor-Hugo,
ardemment éprise du nouvel évangile littéraire, qui soutint le grand poète dans sa
lutte contre les classiques. On le voit figurer, à côté de
Théophile Gautier, à
la soirée mémorable de la première d'Hernani aux Français. Il compta parmi les fidèles
du salon littéraire de la Place Royale, où les disciples se réunissaient plus tard autour du maître.
C'est dans ce cénacle, où le Moyen-Âge, comme on sait, était très en honneur, que
Jubinal prit le goût de la littérature de cette époque, des œuvres jusqu'alors dédaignées
ou ignorées de nos vieux auteurs de fabliaux, des chansons de gestes de nos trouvères.
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Mais ce Moyen-Âge, dont Achille Jubinal avait fait son domaine intellectuel de prédilection, ce n'est pas
dans sa littérature seule qu'il voulut l'étudier et qu'il contribua puissamment à nous le
révéler. Ce fut aussi dans la riche floraison de son art, à la fois naïf et profond, dans ses
conceptions esthétiques, tout imprégrées de l'idée religieuse, et où s'exprime, d'une
façon si touchante en son ingénuité, la foi intacte de nos aïeux.
Vieilles églises romanes ou gothiques, statues de saints et de saintes, aux profils anguleux et raides, mais
aussi à l'expression si intense de vie intérieure et d'ardentes piété ; - fresques pâlies,
ou somptueuses tapisseries, tissées d'or et de soie, qui décoraient la nudité des murs de nos
cathédrales ; - calices et ciboires, coffrets, tabernacles, riches miniatures sur vélin, ostensoirs,
chaires de bois délicatement ouvragées, aiguières et bassins : tous les produits, en un mot, de l'art
religieux de cette lointaine époque. Achille Jubinal les étudiait avec la même ferveur de zèle
que les manuscrits vénérables, dont il allait déchiffrer le grimoire jusque dans les bibliothèques
de Suisse, d'Angleterre ou de Hollande.
Il embrassait ainsi la vie intellectuelle du Moyen-Âge tout entière, dans les manifestations de son art aussi
bien que dans celles de la littérature, jugeant avec raison que les premières n'étaient ni moins
intéressantes, ni sutout moins révélatrices de l'esprit de nos aïeux que les secondes,
convaincu que tel artiste inconnu du XIIIe, du XIVe et du XVe siècle avait mis autant de la pensée
de son temps dans tel panneau de bois peint ou sculpté, qu'un poète de la même époque en
pouvait mettre dans telle chanson de geste, dans tel conte ou dans tel fabliau. Et l'honneur n'est pas médiocre
pour Achille Jubinal, de s'être élevé sans effort, mû par le seul instinct de sa nature, qui
était à la fois celle d'un érudit et celle d'un artiste, à une conception aussi large, aussi
philosophique, des procédés d'investigation qu'il convient d'appliquer à l'étude d'une
époque, si l'on veut la bien connaître, - la conscience d'un temps s'exprimant aussi clairement dans son
art que dans sa littérature.
Au lieu de la dispersion, c'est donc l'unité qui règne dans l'œuvre abondante d'Achille Jubinal,
écrivain.
Quand il procède à ces importantes publications illustrées qui occupent une place d'honneur dans
toutes les grandes bibliothèques de l'Europe : la Tapisserie de Bayeux, les Anciennes tapisseries
historiées de France, la Danse des Moris de la Chaise-Dieu c'est encore une contribution qu'il
fournit - et non la moins précieuse de celles que nous lui devons - à l'histoire des idées et
des mœurs de son cher Moyen-Âge. Tel fut apparemment l'avis de l'Académie des Inscriptions et
Belles-lettres, puisqu'elle n'hésita pas à décerner à la seconde de ces publications une
des trois médailles d'or, réservées "aux meilleurs travaux sur les antiquités
nationales".
[...]Il voulait que l'ouvrier et le paysan fussent instruits. À une époque où l'instruction
n'était pas obligatoire, il aimait à dire et à répéter :
Et il choisissait pour prêcher son évangile, les circonstances qui le mettaient en contact avec le peuple,
comme par exemple, l'inauguration à Campan du portrait de Gaye-Mariole :
C'est qu'il concevait l'école comme un foyer de formation morale, en même temps que de culture
intellectuelle ; car il s'empressait d'ajouter :
Pourquoi avait-il créé le musée de Bagnères et celui de
Tarbes ? Pourquoi fonda-t-il
ou contribua-t-il à fonder l'importante bibliothèque de
Bagnères ? Parce que, ce sont ses propres
expressions, une bibliothèque est "un enseignement muet qui s'adresse aux intelligences, et, un
musée, un enseignement des yeux qui nous représente sur la toile,
comme dans un miroir, tous les grands faits,
toutes les actions éclatantes ou touchantes, tous les bons instincts du cœur humain rendus visibles et
palpables en quelques pieds carrés, grâce à la baguette magique du peintre et au ciseau
du sculpteur." Quel beau programme et quel rêve, quelques années avant l'invasion du naturalisme
dans la littérature et dans l'art !
Jubinal avait eu une autre pensée très touchante, et qui mérite d'être signalée :
il voulait que la rétribution de 50 centimes, perçue, les jours de semaine, pour visiter le
musée de Bagnères,
eût une destination bienfaisante. Le produit devait être affecté,
partie à secourir les pauvres, partie à indemniser un ou plusieurs jeunes artistes, savants ou
littérateurs appartenant aux Hautes-Pyrénées [...]
Le même homme qui créait les musées et peuplait les bibliothèques ; qui sauvait,
par son intervention prévoyante, le magnifique cloître de
Saint-Sever-de-Rustan, en le faisant classer parmi
les monuments historiques ; qui arrachait à une destruction inévitable les si pittoresques ruines du
le château de Mauvezin, et qui faisait
reconstruire la chapelle d'Agos,
le même homme, qui conçut l'idée du monument de D'Espourin et qui proposa d'élever
une pierre commémorative à Mme Cottin, sur les hauteurs voisines de
Bagnères ; cet homme voulait que la
Société Académique ne restât étrangère dans le pays à
aucune forme d'activité : il faisait voter des prix d'agriculture, d'industrie, et il invitait la
Société, le 13 octobre 1856, à organiser une exposition agricole et
industrielle des Hautes-Pyrénées.
Et je ne parle ni des orphéons, ni des cours d'adultes, dont la Société, sous
l'inspiration de son fondateur, favorisait la création ou le développement. Le bibliophile Jacob avait
bien raison d'écrire à Jubinal :
[...] Oublierai-je le pyrénéiste, l'amant des montagnes, l'excursionniste, timide peut-être au regard
des alpinistes d'aujourd'hui ; mais le narrateur enthousiaste et vibrant, l'auteur de ces Lettres sur les
Pyrénées, publiées pour la première fois en 1832, et dont les rééditions
successives font l'étonnement de Beraldi.
Dans ses lettres [...]Par exemple, sur les bords du lac de Gaube, nous assistons avec Achille Jubinal à la mort
tragique du malheureux couple qui se noya, le 20 septembre 1832, et à l'agonie du vieux pêcheur du lac.
Quelques instants auparavant, le narrateur a risqué sa vie pour contempler de près la cascade du Cériset,
sur un tronc de pin jeté en travers de l'abime...Quelques heures après il traverse le glacier du Vignemale [...]
Ces lettres reflètent un des aspects les plus attrayants de la physionomie du Jubinal, sa bonne humeur, sa
jovialité aimable, son caractère expansif et bon enfant.
Il fut député de l'arrondissement de
Bagnères pendant dix-huit ans ; et la politique ne fut pour
lui qu'un moyen de rendre service à ses compatriotes et de réaliser ses rêves de philanthrope et
d'artiste. Achille Jubinal était bon et serviable, ingénieux dans son zèle à servir les
intérêts de quiconque recourait à son inépuisable bienveillance.
[...] Tant qu'il en eut le pouvoir et tant qu'il en eut la force, il fut le serviteur laborieux de ce cher coin de terre
et de ses habitants. Et il éleva ses enfants dans l'amour de ce pays pyrénéen qui avait tant
reçu de lui.
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Bibliothèque Nationale de France Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées Société Académique des Hautes-Pyrénées - 1913. | Bibliothèque Nationale de France |
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