de Marie-Pierre Manet |
Garaison avant les Apparitions - Les Apparitions [1]
L'histoire de Notre-Dame de Garaison nous reporte à peu près à la première année du XVIe siècle.A l'ancienne limite de l'archidiosèce d'Auch confinant au diocèse de Tarbes et aux anciens diocèses de Lombez et de Comminges ; au point où le plateau de Lannemezan s'abaisse brusquement vers la plaine du Magnoac et se rétrécit entre la rivière du Gers et les collines parallèles du Nord-Est, le passant de ces temps éloignés regardait, avec une compassion mêlée de terreur, un vallon sauvage et stérile, appartenant, alors comme aujourd'hui, à l'antique et petite ville de Monléon. C'était un désert inculte, au milieu duquel apparaissaient deux ou trois maisonnettes, couvertes de chaume, où l'on était plutôt à l'abri du jour et de la lumière qu'à couvert de la pluie et du vent, tant était grande la multitude des fentes et des crevasses qu'on y voyait.
Comme si tant de misère n'avaitt pas suffi, les environs étaient aussi mal famés que possible.
Les environs, c'était la sinistre lane du bouc.
Lane du bouc :
Le plateau de Lannemezan contient près de neuf mille hectares de landes, dont trois mille sont encore d'un seul tenant. La grande lande porta d'abord le nom de lane du bouc, parce que, d'après une croyance jadis populaire dans toute la Gascogne, le diable, sous la forme d'un bouc, y présidait les sabbats des sorciers. La sorcellerie eut durant des siècles de nombreux adeptes dans cette région. Froissart, qui chevauchait à travers ces landes en 1388, n'était pas rassuré complètement et il y trouvait moult périlleux passages pour gens qui seraient avisés. Parlant d'une sentence arbitrale, rendue en 1232 par le comte de Toulouse et Amanieu d'Albret dans la Lane du bouc, Marca note que "c'est une lande diffamée pour ce qu'on pense qu'elle est le rendez-vous des sorciers de Gascogne, sans que pourtant on soit obligé de le croire.". [...]Bastides construites pour débarrasser la lande de tous les bandits :
Comme les criminels de tous degrés et de toute condition venaient renforcer les maléfices des sorciers dans cette lande sinistre, Gérard d'Aure, qui en était propriétaire, jugea bon de ne pas l'abandonner tout entière aux seuls malfaiteurs. Il bâtit Lanespède au pied de ces landes et Lannemezan au milieu (1274), comme ces noms l'indiquent. Montréal de Rivière (Montréjeau) en 1272 et Tournay en 1307 s'élevèrent aux extrémités et aux abords, avec le concours du roi de France, qui en 1315, aida pareillement les Bénédictins à reconstruire Galan, détruit par les routiers un siècle plus tôt. La lisière de ces landes était bordée de plusieurs châteaux où, pour une modique redevance, on se réfugiait en cas de danger, et des fourches patibulaires, dressée au lieu-dit les Justiciers, entre Mauvezin et Capvern, avertissait les malandrins du sort qui les attendait après leurs crimes. La charité chrétienne même avait ses représentants au milieu de toutes ces désolations matérielles et morales : elle y avait construit un établissement, dont les gardiens remettaient sur leur route les voyageurs égarés et où ils offraient un gîte aux pèlerins de St-Jacques. Malgré tout, les landes restaient toujours infestées. Un autre Géraud d'Aure les vendit, en 1345, pour la somme de mille sept cents livres, à Gaston de Foix. Elles devinrent alors les landes comtales,qui donnèrent leur nom un peu défiguré au petit hameau de Cantaous.N. D. plus puissante que les bastides :
Mieux que toutes les bastides, mieux que les puissantes familles d'Aure de de Foix, La Vierge allait enfin purifier tous ces lieux. C'est avec une légitime fierté et une profonde reconnaissance que l'historien de Garaison écrivait : " Depuis la structure de la chapelle, on n'entend plus parler dans ces quartiers de cette malheureuse engeance de sorciers qui les souillaient auparavant par leurs impiétés." Quant aux autres malfaiteurs, ils disparurent eux aussi et nous ne retrouverons dans ces lieux d'autres bandes organisées que peu d'années avant la Révolution.Garaison :
Chose étonnante, ce vallon, doublement sinistre, s'appelait Garaison de temps immémorial ; ce qui paraissait un perpétuel défi à la réalité, n'était qu'une prédestination et l'annonce des guérisons innombrables et merveilleuses, qui devaient refaire en ce désert tant de corps et tant d'âmes.Mais il y fallait une intervention plus qu'humaine.
Sous le pontificat d'Alexandre VI, Maximilien 1er étant empereur d'Allemagne et roi des Romains, Louis XIII régnant sur la France, Jean VI, cardinal de la Trémouilles, occupant le siège archiépiscopal d'Auch,
L'Immaculée Vierge Marie, qui est assez pure pour tout sanctifier, assez puissante pour tout ennoblir, qui choisit, comme son Fils, ce qu'il y a de plus faible pour confondre ce qu'il y a de plus fort, abaissant un regard d'amour sur le pauvre vallon et sur une petite enfant de ces pauvres cabanes.
La petite fille s'appelait Anglèze de Sagazan. Elle était âgée de dix à douze ans et gardait le maigre troupeau de son père, à moins de deux traits d'arquebuse de sa demeure [2]. Elle s'était assise auprès d'une fontaine et, ajoute la tradition populaire, sous une aubépine en fleurs.
C'était environ l'an 1500 de l'ère chrétienne.
L'aubépine en fleurs indiquerait le printemps. L'époque où la nature se renouvelle, aurait été le moment choisi par la Vierge pour faire fleurir cette solitude et la remplir d'allégresse et de louanges.
L'année avait été stérile, et les années de disette, terribles partout alors, pouvaient être meurtrières dans un désert tel qu'était Garaison. L'enfant tira de sa panetière quelques morceaux de pain sec, très dur et très rude, les trempa dans l'eau de la fontaine et les mangeait en pleurant. Pleurait-elle sur sa misère, sur la misère de ses parents, sur la misère publique, sur les péchés qui provoquaient les châtiments de Dieu ?
Anglèze pleurait et priait, en prenant son pauvre repas.
Le ciel vint la consoler.
Une Dame, à la démarche majestueuse, à la beauté sereine, au regard plein de grâce, vêtue d'une robe blanche qui descendait à longs plis jusqu'à ses pieds, apparut tout à coup devant elle. tant de splendeur aurait trahi le Reine des cieux, ailleurs même que dans ce désert, auprès d'une personne plus habituée à l'éclat que la fille de Sagazan. Anglèse, d'abord étonnée, restait éblouie, ravie en extase, et n'osait ouvrir la bouche. La prévenant avec grande bienveillance et une douceur divine, l'Apparition lui déclara qu'elle était la Vierge Marie, mère de Jésus-Christ, notre Rédempteur ; qu'elle avait choisi ce lieu pour y répandre ses dons et que c'était là qu'on devait bâtir une chapelle ; qu'elle avertit son père d'en donner promptement avis aux habitants de Monléon.
Après ces mots, la Vierge disparut.
Anglèze courut à son père, lui raconta ce qu'elle avait vu et entendu, et lui transmit l'ordre d'aller trouver les habitants de Monléon. Sans autre preuve que la parole de sa fille, le père n'hésita pas à partir aussitôt. Mais les habitants de Monléon ne jugèrent pas la preuve suffisante et le renvoyèrent avec un refus. Ils étaient dans leur droit et ne faisaient que leur devoir. Toujours prêt à s'incliner devant Dieu qui parle par lui-même ou par quelqu'un de ses envoyés, le croyant exige la preuve que c'est bien Dieu qui a parlé, avant d'ajouter foi à des choses extraordinaires. Dieu, d'un autre côté, fait tourner cette prudence chrétienne à sa plus grande gloire ; les contradictions font mieux ressortir la puissance de l'intervention divine qui en triomphe, et ce qui paraissait tout d'abord ébranler les fondements, ne sert qu'à rendre l'édifice plus inébranlable.
Le père rapporta donc le refus des habitants de Monléon, et l'enfant retourna le lendemain à la fontaine, avec l'espérance d'y revoir la belle Dame et de lui faire part de l'accueil fait à son père. La Vierge lui apparut de nouveau et de nouveau lui donna commission d'envoyer son père assurer aux habitants de Monléon que le Seigneur voulait l'érection d'une chapelle auprès de cette fontaine ; qu'ils ne craignent pas d'entreprendre ce travail dans une année de famine, par défiance de ne le pouvoir achever, parce que Dieu leur fournirait bientôt les moyens de le mener à terme, si leur obéissance en jetait les premiers fondements.
L'enfant se hâta de porter cette parole à son père, et le bonhomme comme disent les vieilles chroniques, la porte aux consuls et aux habitants de Monléon, qui, bien qu'à demi ébranlés et par ce double message et par cette assurance de l'heureuse issue de l'entreprise, si peu naturelle dans une petite fille de cet âge et de cette condition, n'acceptent cependant pas encore la proposition et renvoient pour la seconde fois le messager de la Vierge et de la petite voyante.
Ces détails laissent entrevoir à travers les siècles la simplicité et la beauté de ces deux âmes : l'innocence de l'enfant qui, n'ayant rien à cacher, n'a jamais connu le mensonge ; la générosité du père qui, sûr de la sincérité de sa fille, compte pour rien les fatigues et les railleries que lui attire l'accomplissement de sa mission.
La Vierge devait donc présenter ses lettres de créance.
Troisième Apparition :
Anglèze, bien triste, bien affligée, se rendit le lendemain auprès de la fontaine. Elle n'était plus seule, comme les deux jours précédents, mais accompagnée de quelques-uns de sa famille et du voisinage, conduits par la curiosité ou mieux par une disposition de la Providence qui voulait les rendre spectateurs et témoins de ses œuvres merveilleuses.Dès qu'ils furent arrivés près de la fontaine, la Vierge apparut pour la troisième fois. Tous entendirent ses paroles. Anglèze seule la vit. La Vierge lui dit que, pour confirmer la divinité de son Apparition, elle allait changer son pain noir, rude et hérissé d'arêtes, en un pain très blanc, très beau à l'œil et très savoureux au goût ; que, puisque ses parents étaient dans une misère extrême, ils trouveraient leur coffre rempli de pain, mais qu'ils se souvinssent toujours de remercier Dieu de ses miséricordes et des consolations qu'il leur envoyait.
Ils vérifient aussitôt la réalisation de ce prodige. Le pain d'Anglèse est trouvé très blanc et délicieux. On court à la cabane de la bergère, on ouvre le coffre, on le voit rempli de pain, on crie : Miracle ! miracle!
Sans s'arrêter, on se précipite vers Monléon, on parle aux consuls, on montre à tous les preuves palpables du double prodige qui vient de s'accomplir.
Les consuls en réfèrent aux recteurs, le recteur vérifie le miracle, le doute se change en certitude, l'incrédulité en actions de grâces. En un moment, la petite ville est sur pied. Les prêtres revêtent leurs ornements les plus beaux ; une procession est organisée, la croix marche en tête, suivie du clergé, des consuls et du peuple ; les maisons restent vides ; les chemins se remplissent de pèlerins et de chants. Les villages voisins, avertis de la merveille, accourent joindre leur joie à la joie commune.
Quand la procession parvint à la fontaine de l'Apparition, la croix y fut plantée, au chant des hymnes, des prières et des cantiques.
Notre Seigneur Jésus-Christ prenait possession du val, au nom de la Vierge Immaculée, Notre-Dame de Garaison.
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[Commune de Monléon-Magnoac]
[Chapelle Notre-Dame de Garaison]
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