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L'organisation économique de la seigneurie
dans le droit domanial
.


(avec quelques exemples bigourdans).


Sceau
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Guy DALBERNY
Maître de Conférences associé Université TOULOUSE III (IUT TARBES)


Sciences de Gestion

Laboratoire
dalberny@iut-tarbes.fr

Résumé :

L'organisation économique de la seigneurie dans le droit domanial, se veut originale, novatrice, de par ses caractéristiques en matière de propriété, de production et de régime financier. Les États de Bigorre illustrent ce système en une série de principats qui pourraient faire figure de " petits états ".

Mots-clés : tenures, fief, censive, agraire, foire, finances.

L'organisation économique de la seigneurie : le droit domanial



Nous avons l'habitude de caractériser cette économie de domaniale parce que le seigneur en est le responsable et l'organisateur. Se satisfaisant en elle-même c'est une économie d'autarcie représentée par la dissolution de l'autorité publique, l'incapacité d'assurer l'ordre dans le royaume. Le pouvoir politique s'atomise vers des relations de patronage et de dévouement personnel qui s'étaient développées dans le privé, et se sont introduites progressivement dans les structures de l'État. Ce pouvoir de commander, de punir et de taxer les gens du commun, se répartit entre des petites cellules autonomes autour du seigneur. La conception du fief et l'engagement vassalique servent de cadre aux liens de subordinations. Ce " vestige " du système juridique féodal dénoncé par les révolutionnaires de 1789 est resté aujourd'hui dans l'usage courant pour définir tout ce qui est mépris de l'autorité publique aux profits d'intérêts privés. Ce système est original de par son caractère jusqu'à la fin du XIIIe siècle tant en ce qui concerne, la conception de la propriété, que la production, que le régime financier (1) .



1. La conception de la propriété

Son schéma a été utilisé à l'époque franque, la propriété évolue de plus en plus vers le système des tenures : terres ou immeubles sur lesquels plusieurs propriétaires peuvent avoir des droits différents de propriété. Toutefois, il présente l'avantage de nous démontrer historiquement que cette conception de la propriété n'est pas une donnée définitive, elle peut évoluer en fonction des besoins de la société. Cette propriété de tenure, même à l'époque féodale, laisse subsister la propriété libre les alleux que nous étudierons au titre de l'exception au régime des tenures. En Bigorre, nous retrouvons ces tenures serviles exploitées à Goudon en 1313 par les serfs. Nous verrons au fil de notre étude que cette condition d'état servile évolue vers des servitudes réelles qui ne touchent que la terre questale, Pouzac en 1429, enfin, la servitude personnelle et réelle la plus répandue comme en Val d'Azun en 1317.

1.1. Le régime féodal des tenures

Les tenures peuvent être nobles ou roturières. Dans le premier cas il s'agit de fief, dans le second cas de censive.



1) LE FIEF : C'est une concession de terres, d'immeubles, parfois de droits incorporels (fiefs en l'air). Dans le Comté de Bigorre, nous relevons entre le IXe et le XIVe siècle quelques droits seigneuriaux du baron de Beaudéan.(4)


- droit de prison : pour y mettre les dits habitants, ses vassaux désobéissants et transgresseurs de ses commandements et ses officiers.

- droit de mayade : le seigneur a le droit de vendre ou de faire vendre du vin dans le lieu de son choix pendant trois mois.

- droit de boucherie : il jouit de ce droit pour ne vendre la viande que dans sa boucherie - nul ne peut en vendre, même pas les bestiaux morts en montagne, ni en distribuer gratuitement à ses parents ou voisins.

- droits de poules : le seigneur peut les exiger à son choix en nature ou en espèces, dans le second cas leur prix sera fixé d'après le cours du marché de Bagnères-de-Bigorre.

- droit de rouade : chaque habitant du lieu doit donner au seigneur annuellement une quantité de bois ou la payer en espèces.

- droit de corvée : dans toutes les saisons de soleil à soleil.

- droit de chaux : le seigneur prélève deux chars de chaux par cuite ou fournée dans le four à chaux de Beaudéan ou exige 20 livres.

- droit de mouture : pour le grain moulu dans ses moulins 1/20 usage de la ville de Bagnères-de-Bigorre.

- droit de chasse : aucun habitant n'a le droit de chasser ni de prendre aucun gibier.

- droit de pêche : il en est de même de la pêche qui appartient au seigneur dans toute la terre de Beaudéan.

- droit de justice : dans le dit lieu le seigneur a droit à justice et juridiction basse, la faisant exercer par ses Baile et Consuls, d'an en an, et autrement quand bon lui semble. Ces services sont précisés à partir du XIe siècle pour ce qui est du service militaire, du service de Cour, de Conseil et d'aide financière.



L'étymologie du mot fief est difficile à expliquer certains juristes le lient à fidélité, d'autres à la langue allemande, au sens de récompense. De toute façon l'origine de la pratique du fief se trouve dans le bénéficium de l'époque franque. II est à la fois un contrat d'aliénation comportant services personnels et obligations réelles de la part des contractants (seigneur et vassal) et, l'objet du contrat (terre ou droits incorporels). Certaines conditions de capacités sont nécessaires. Les femmes se heurtent à cette difficulté de remplir les services militaires et le service de justice par le fait que celui-ci peut décider un duel judiciaire. De plus, par suite de leur mariage, elles peuvent entraîner des fiefs en des familles étrangères où les seigneurs sont hostiles à leur suzerain. Cependant, certaines femmes sont héritières, au XIIe siècle, de fiefs importants (la très fameuse princesse Alienor d'Aquitaine). Les Croisades expliqueraient la nécessité où les femmes ont été de gérer des fiefs en l'absence de leurs maris. Au XIIIe siècle, la capacité féodale est admise en droit à condition que la femme trouve un "baron" ou un "avoué" pour acquitter en son nom les servitudes exigées par le seigneur. D'où l'explication toujours nécessaire de cette autorisation du seigneur au mariage de sa vassale, car le "baron" ou "avoué" sera le mari de celle-ci.

Les mineurs ne peuvent exercer leurs droits et services que par un représentant qui est parfois le seigneur (bail seigneurial) ou leur mère ou un parent (bail féodal).

Les clercs, qui ne peuvent verser leur sang par l'interdiction faite par le droit canonique, doivent se faire représenter par des avoués ou vidames des abbayes et seigneuries ecclésiastiques.

Pour ce qui est des roturiers rien ne s'oppose en droit à ce qu'ils acquièrent un fief. Mais à partir de Philippe Auguste et de son Ordonnance du franc-fief de 1175, les roturiers ne le peuvent que moyennant un droit de "franc-fief". S'ils ne s'acquittent pas de ce droit, ils perdent la condition noble.

Le contrat de fief est un contrat solennel, affirmé par la cérémonie de foi et hommage dans l'esprit d'affection et de symbolisme de la société médiévale. L'essentiel consiste dans le devoir de se comporter loyalement l'un envers l'autre. Pour le vassal le devoir de servir, d'aider. Pour le seigneur le devoir de protection. C'est la coutume qui fixe le contenu de cette aide et protection. Ces cérémonies ont lieu, au château du seigneur, plus rarement l'hommage se fait "en marche", c'est-à-dire à la frontière du fief concédé et du domaine seigneurial. L'hommage peut être simple ou revêtir un caractère de fidélité exclusive envers le seigneur (hommage-lige concrétisé par l'adage : l'homme de mon homme est mon homme).

Le contrat de fief est un contrat synallagmatique, le seigneur doit donner à son vassal sa protection et le fief promis le vassal a l'obligation de remplir le service militaire par chevauchée ou stage, l'obligation de prêter son concours aux plaids de son seigneur ou en son conseil et lui fournir l'auxilium (aide financière) limitée très vite à "l'aide aux quatre-cas".

1- l'aide au seigneur lorsqu'il part en croisade ou que fait prisonnier il doit verser une rançon.

2- participation à l'adoubement du fils-aîné du seigneur lorsqu'il est fait chevalier.

3- participation à la dot de la fille du seigneur.

4- garantie apportée au paiement des dettes du seigneur lorsque ce dernier est mis en prison pour dettes.

Aussi le vassal peut jouir de tous ses droits et revenus attachés à son fief ; s'il s'agit d'une seigneurie le vassal jouit de tous les droits inhérents à cette puissance publique. Nous voyons combien il est difficile de distinguer en pratique fief et seigneurie et combien cette distinction toute théorique a peu d'effet dans la pratique. Ce droit éminent, dans la réalité, est assez théorique. II confère un droit de retrait féodal (droit de choisir un nouveau vassal) et un droit de mutation ou changement de vassal (droit de quint ou de relief).

Le contrat de fief est un contrat intuitu personae. Le seigneur garde le droit de n'être lié qu'au vassal de son choix. En conséquence, le fief a d'abord été viager à la mort de l'un ou de l'autre des contractants, l'autre partie peut être déliée. Mais l'usage s'est introduit d'ensaisiner quasi-automatiquement l'héritier du vassal défunt, dès le Xe siècle. Puis, à partir du XIIe siècle, le vassal peut aliéner de son vivant, sous réserve de la possibilité du seigneur de préférer lui-même racheter son fief, qu'admettre le nouveau vassal. A partir du XIIIe siècle, la féodalité est moins agissante, le fief n'est pas considéré comme un bien foncier, patrimonial, que pour son caractè:re politique, le seigneur exerce de moins en moins son autorisation. II se contente, à chaque mutation, de percevoir le droit de quint (depuis Blanche de Castille). Cette évolution est connue sous le nom de patrimonialité du fief.

La sanction des obligations créée par le contrat de fief (félonie) donne lieu à la confiscation pour le vassal et à la perte de la suzeraineté pour le seigneur ; le vassal étant alors relié directement au suzerain supérieur de son ancien suzerain.

En Bigorre, la seigneurie est connue grâce aux censiers de 1300 et 1313. Parmi la plus importante nous devons citer la seigneurie de Castelloubon, fief des Vicomtes de Lavedan, des Angles, avec ses dix-sept localités, de Bénac, ou d'autres plus petites, en particulier Asté et Esparros. En 1313, Raymond de Bazillac possède six localités entre Chis et Barbachen, avec en 1429 des droits divers sur dix-neuf localités de Montfaucon à Larreule en passant de Caixon à Orleix, Comtebon d'Antin possède Laméac, Labarthe, Oursbelille et Bernard de Castelbajac, Castelbajac, Montastruc, Burg, Neuilh et Astugue. A côté de ces puissants barons il faut noter les seigneurs d'Ossun, de Nodrest. (2)(3) Les seigneurs exercent la haute justice, excepté à Caixon où elle appartient à l'Évêque, ils jouissent seul du droit d'armée et de chevauchée et perçoivent toutes les amendes au-dessus de cinq sous, sauf à Saint-Sever-de-Rustan où le revenu est partagé avec l'Abbé. Nous distinguons onze barons dont aucun n'a moins de 50 livres de revenus en 1300, puis les chevaliers adoubés peu nombreux par rapport aux damoiseaux, enfin les petits nobles possédant une seigneurie. Si nous nous référons aux travaux de M. Berthe, de l'Université de Toulouse, M. Berthe estime à deux cents environ le nombre de familles nobles bigourdanes, toutes conditions confondues. II y a peu de seigneurs aisés en 1300 sur quatre-vingt-cinq, cinquante-sept ont un revenu variant entre 5 et 20 livres. Ces différences vont de pair avec l'étendue des seigneuries. Sur cent quinze seigneurs cités en 1313, quatorze possèdent de trois à vingt communautés, quatre-vingt-dix n'en ont qu'une.

La tenure roturière ou censive possède un régime parallèle à celui du fief. Mais son but économique, sa nature roturière, influencent les dispositions et les conséquences du contrat.


2) LA CENSIVE

C'est un contrat par lequel le seigneur tenancier transmet au censitaire la saisine d'une terre, à charge pour ce dernier de verser un cens. Ce cens est une redevance annuelle, portable (pour marquer le caractère féodal), fixe, imprescriptible. II peut être en argent ou en nature selon les cas, selon les régions. Dans le Sud-Ouest le cens est du plus fréquemment en nature : c'est alors le champart (partie de la récolte, mélange de froment et de seigle). En Bigorre, deux sacs d'avoine, un à la saison des figues, un autre à la saison du millet. Le but de la censive est avant tout économique. Son caractère réel est plus marqué que dans le fief les conditions de capacité ne sont pas exigées, il y a contrat passé par écrit, la seule obligation du censitaire repose dans le paiement du cens, la patrimonialité s'installe plutôt qu'en matière de fief. En contrepartie de son droit éminent, comme dans le fief, le seigneur, outre le cens, a droit à percevoir des droits de mutation ou changement de censitaire (droits de lods et ventes}. En Bigorre, la condition roturière se caractérise par une grande diversité et une inégalité des droits seigneuriaux pesant sur le roturier bigourdan des 1300. C'est d'abord le cens levé par le Comte ou son vassal, à raison d'une concession foncière. Son taux est tout à fait irrégulier. Dans certaines localités, le cens est le même pour tous quelle que soit la superficie de la tenure, en 1313 en particulier à Labassère ; dans d'autres cas, il varie selon les censitaires, sans rapport avec la superficie Ossun en 1429. Au cas du non respect de ces obligations, le seigneur peut confisquer la censive (saisie) ou prendre le droit de suzeraineté tout comme dans le fief. Le sous-accensement a été exagérément pratiqué au point que les coutumes essayent de le proscrire, édictant la règIe "Cens sur cens ne vaut". Mais en vain cette prohibition est détournée par la pratique de rentes viagères qui ont fini par grever tous les immeubles à la fin du Moyen-Âge.


Exception au régime des tenures les alleux. A l'époque féodale, l'alleu est une terre libre, autonome, extérieure au démembrement féodal, pour laquelle on ne doit ni foi, ni hommage.

L'alleu ne rentre pas dans la hiérarchie féodale. II existe trois catégories d'alleux :


- les alleux simples : ils ont échappé à la hiérarchisation des terres de l'époque carolingienne, et ne sont pas soumis a l'autorité des seigneurs, mais à celle des fonctionnaires royaux.

- les alleux nobles : ou justiciers (anciennes terres immunises) confèrent à l'alleutier des droits de seigneurie.

- les alleux souverains : sont de véritables petits royaumes indépendants que possèdent des vassaux et des arrières-vassaux.

Dans les États de Bigorre, cette catégorie d'alleux est attestée à Ibos en 1429 et dans le cartulaire de Bigorre. II s'agit de terres possédées de plein droit, pour lesquelles les propriétaires ne doivent rien à personne. Nous dénombrons soixante-neuf exploitations dans la vallée de Barèges, mais la proportion générale est plus faible, de l'ordre de 10 %. Ainsi la Bigorre se rapproche du Comminges au XIVe et XVe siècles, alors que le Béarn n'a presque plus d'alleux à cette époque. Au XVe siècle, la crise permet une concentration. C'est pourquoi des propriétaires aisés rachètent des tenures abandonnées à Azereix en 1313 et 1429. La Bigorre se voit ainsi dominée par un très petit nombre de tenanciers fortunés aux dépens du groupe roturier, mais il faut bien le préciser, la grande majorité des tenanciers connaît une situation précaire similaire au corps nobiliaire. Dans ce cas l'alleu, dit-on, "ne dépend que de Dieu, de l'épée, du lignage". Cependant dans la pratique, ils gardent des rapports d'allégeance avec le Roy de France. Les alleux sont considérés avec défaveur par le droit féodal puisqu'ils échappent au droit commun. Aussi, ils vont régresser pour réduire l'alleu justicier en alleu simple, en contraignant les alleutiers à porter hommage au Roy pour la justice, en vertu de la régIe "Toute justice est tenue au Roy en fief ou en arrière-fief". A partir du XIVe siècle on ajoute que "noblesse d'alleu se prouve et ne se présume pas", ce qui a pour effet de réduire les alleux nobles qui ne peuvent prouver leur nature noble. L'alleu simple connaît la défaveur des pays où la coutume est la plus enracinée, en ce sens que l'on exige que l'alleutier fasse la preuve de son alleu, en fonction de la présomption (nulle terre sans seigneur), alors que dans le Midi, au contraire, ou l'on est plus favorable au régime des alleux, on admet que l'alleu est présumé et que, par conséquent, c'est au seigneur d'apporter la preuve que cette terre lui appartient (nul seigneur sans titre).


Cette conception de la propriété est liée à l'économie essentiellement rurale et dominée par la pénurie de la main-d'œuvre.



2. Le système d'exploitation

2.1. Les structures agricoles

Il convient d'étudier ici, les structures agricoles, les techniques de la production. Le système des tenures favorise la concentration des exploitations entre les mains des grands vassaux, quoique, dans le Midi, la propriété se rencontre encore assez souvent. En Bigorre, nous retrouvons cette vue d'ensemble dans la Charte des Fors de Bigorre de 1097, notamment dans ses 43 articles rédigés en latin. Ce modèle est diffusé en Aragon et en Navarre. Nous pourrions confronter les différents textes des Cartulaires de Bigorre, de Lavedan, des Abbayes de Saint-Savin, Larreule, Saint-Pé, mais il nous est difficile dans le cadre de cette communication d'opérer les confrontations entre ces différents textes faute de disposer d'une documentation similaire pour les quatre Vallées. (3) Le regroupement se fait autour de la seigneurie, nous distinguons trois catégories de terres :


- le domaine retenu (domaine éminent) comprend le château, ses dépendances, un jardin, le colombier (dont la possession est privilège seigneurial), domaine déterminé par le "vol du chapon", auquel s'ajoutent des terres exploitées par les serfs et les domestiques du seigneur. L'entretien des fours et moulins banaux (monopoles seigneuriaux) se concentre sur cette partie du domaine.

- le domaine concédé (domaine utile) représente la plus grande surface des terres. Il est démembré en concessions de manses, fait de bois, prairies, terres cultivables.



A partir du XIIe siècle une nouvelle concession apparaît : le bail à rente.

Par suite du faible rendement de la terre et de la pénurie de la main-d'œuvre, les terres ainsi concédées sont de vastes étendues, mais à partir du Xle siècle, l'essor démographique oblige à un nouveau remembrement qui porte sur ces tenures déjà démembrées et roturières : pour les différencier des tenures concédées par le seigneur (bail à cens), on leur donne le nom de bail à rente. II permet ainsi un démembrement sans faire perdre quoi que ce soit au seigneur de ses droits féodaux. Celui qui bénéficie d'une telle concession ne reconnaît pas le premier censitaire pour seigneur.

II n'y a entre eux que des biens financiers, économiques, et le paiement du "loyer" comme le cens, récognitif de seigneurie. Ainsi il peut être augmenté en fonction du coût de la vie. Les censives ou baux à rentes ne sont pas uniquement constituées de terres cultivables. Dans chaque exploitation, se retrouve une disposition analogue à celle que nous trouvons autour du château : un jardin clos et l'habitat proprement dit, une partie de terres en culture, une partie en bois et en forêt.

Enfin les concessions faites par le seigneur sont des hostices (concessions de terres à rendement médiocre).- Elles font appel à une population nouvelle et leur concession s'accompagne de privilèges juridiques et sociaux (affranchissement des serfs). De plus, elles sont faites sans contre-partie de redevance, mais le seigneur y conserve son droit de propriétaire éminent. Lorsque la concession est faite à un individu ou à une famille, elle porte le nom d'hostice lorsque la concession fait appel à plusieurs familles, elles se groupent en villeneuve.

Ce régime de démembrement est parfois considéré comme lourd pour le tenancier, non point à cause du cens mais à cause des corvées qui s'y ajoutent. L'évolution de la propriété jusqu'à la fin de l'Ancien Régime a permis l'accession à la propriété de paysans ou d'anciens serfs, par suite du transfert de fait qui s'effectue du propriétaire utile (le tenancier) qui, en pratique, peut être considéré comme le vrai propriétaire.

Une dernière catégorie de terres s'ajoute au domaine retenu et au domaine concédé les terres communes (I/3 des surfaces totales), faites de bois, étangs, terres vagues et vaines. La propriété de ces terres appartient au seigneur : selon les coutumes ; il a, seul, ou en partage avec les habitants, droit de chasse et de pêche, droit exclusif de haute futaie mais les habitants ont le droit de prendre le bois de chauffage et de construction dans les forêts, droit de glaner le thuyas pour les litières des animaux et droit de pacage. Cet équilibre entre différentes structures d'exploitation, établi dans la proportion des terres cultivables et des forêts, est encore assorti d'un " ordre " quasi-immuable dans le système même d'exploitation.

2.2. Les techniques agraires

Les agriculteurs observent, à moins de fumure intensive, difficile à réaliser à l'époque, en raison de l'absence d'engrais artificiels, que les champs ont besoin de repos, de varier les cultures et de les interrompre pendant un laps de temps (mise en jachère). II y a en conséquence, un cycle de cultures. Le plus court est celui de l'assolement biennal c'est le plus simple: une partie de l'année la terre est laissée en jachère, l’autre étant cultivée l'année suivante ; les terres en jachère sont cultivées, tandis que les terres cultivées l'année précédente sont à leur tour mises en jachère. Nous retrouvons ces techniques dans la Charte des Droits Curiaux d'Aulon en 1347, bien que les censiers de Bigorre ne fournissent aucun indice sur le rythme du travail du sol, nous pensons que l'assolement est biennal. Cette technique se retrouve également dès le milieu du XIe siècle à Saint-Pé-de-Bigorre et plusieurs attestations du seigneur de Castelloubon, précisent cette pratique. II en est de même à Adé et à Bun. II arrive qu'à cet assolement est préféré celui du cycle triennal, un peu plus complexe. Cela repose sur la distinction de deux catégories de récoltes. Une sole est ensemencée à l'automne pour porter le blé l'hiver, la deuxième sole est réservée au blé de printemps, la troisième sole reste en jachère une année. À l'automne suivant, cette dernière catégorie de terre est ensemencée de blé d'hiver, tandis que la première de blé de printemps est en jachère. Cette méthode prévoit un repos de chaque sol tous les trois ans. L'assolement triennal n'est pas pratiqué en Bigorre, mais en Savoie, dans le Languedoc et la Garonne. L'irrigation est peu connue, mais répandue dans les plaines et montagnes au XVIIe siècle. En Bigorre, nous pensons qu'elle a servi d'abord autant à drainer qu'à irriguer la vallée de l'Adour. Cette double fonction a été ressentie comme la préoccupation majeure, permettant l'augmentation de la production de foin à Gédre en 1438, cet exemple est cité aussi dans le censier de 1429. Tous les habitants d'une même région sont astreints au même type général d'assolement et aux mêmes époques de semailles et de récoltes. En effet, les champs sont ouverts (ni haies, ni fermetures), à l'exception de barrières ou de fosses provisoires au moment de la maturité des récoltes pour les protéger des animaux. II ne peut y avoir de différenciation individuelle (excepté les bornes de propriété) et tous les champs sont forcément attachés à une même culture dans un même endroit. Enfin, il ne peut y avoir qu'une récolte unique (pas de regain par exemple) et le propriétaire doit obligatoirement laisser aux glaneurs et aux animaux vaine pâture et droit de parcours.

2.3. La production agricole

La mise en valeur des terres de plus en plus nombreuses, à partir du XIe siècle, provoque une expansion économique progressive et constante jusqu'au XIVe siècle. Les défrichements et l'assèchement des marais se font à un rythme rapide. Ils sont tantôt l'œuvre de particulier, chacun a son "essart", tantôt l'œuvre de seigneurs, pour attirer une population nouvelle et créer un centre économique d'expansion, tantôt l'œuvre de moines (Cisterciens et Chartreux). En Bigorre ils sont d'abord le fait de communautés de la Vallée de Barèges, des bénédictins de Saint-Savin, puis en Lavedan, en Louron, et aux Abbayes de Sarrancolin et de Bonnefont. II faut y ajouter les villes de Lourdes, Bagnères-de-Bigorre, Saint-Laurent-de-Neste, la baronnie de Bénac. Mais le bas-pays possède de nombreuses terres incultes dans la plaine Maubourguet, Artagnan, Vic-en-Bigorre, etc... A noter que le Comte de Bigorre possède de vastes landes. Ainsi le terrain inculte nécessaire à la survie, se concède régulièrement. C'est le cas d'Ibos en 1377.

Ailleurs, ce type de terrain est donné en fief aux communautés religieuses : Saint-Laurent-de-Neste en 1281, que le seigneur de Lavedan donne aux Cisterciens de Bonnefont. Des conflits éclatent à ce sujet entre des terres riveraines, entre pyrénéens et béarnais en 1196 et 1214 (Lande de Pelapout, Lande Folhie) dont les contours sont aussi flous que nombreux. Le défrichement est interdit entre Tarbes et Séméac car les terres sont utilisées exclusivement en forêts et pâturages par les bergers et bûcherons. Cet usage se retrouve également à Sarrancolin en 1398. Cette diversité de droits individualistes apparaît clairement dans le texte du Vicomte de Béarn, Gaston de Moncade, en 1281. Cette production agricole a été parfois réalisée sans souci d'équilibre entre la forêt et la mise en culture, assez souvent parfois selon un plan d'équilibre qui tient compte de l'équilibre production/services rendus par l'exploitation de la forêt aux hommes et animaux. A cela il y a plusieurs conséquences: la création d'agglomérations rurales nouvelles, bourgs ou villages ruraux, le recul de bêtes sauvages et des bandes de hors-la-loi et de brigands qui se réfugient dans les forêts, et surtout la mise en exploitation de terres labourables et la création de nouvelles exploitations et propriétés rurales. Cette augmentation de production a, de plus, été favorisée par le progrès de l'attelage ; de même elle s'est accompagnée d'une plus large variété de plantations dues aux expériences que les Croisés rapportèrent d'Orient (légumes, épices...). Ainsi, en Bigorre, les coutumes de Trie (1325) prévoient la culture de choux, de poireaux, de raves. En 1036 apparaît le pommier en Lavedan qui, grâce a son jus fermenté fait l'objet de transactions dès le XIe siècle sur le marché de Lourdes. Les poires, les figues et les noix sont vendues à Trie. De la noix, on extrait l'huile qui est vendue sur le marché de Lourdes au XIe siècle, et pressée à Vic-en-Bigorre en 1429. La vigne connaît une extension considérable. Dans notre contrée de Bigorre, elle occupe une grande place dans les activités agricoles, la première est mentionnée à Artalens-Souin. Au XIe siècle elle se répand en LAVEDAN, autour de Saint-Orens, de Saint-Savin , de Barèges, et en Barousse en 1326, mais surtout à Vic-en-Bigorre au XIIe siècle, Bordères-sur-Echez (1272), Castelnau-Magnoac (1242). Nous n'en voulons pour preuve que le célèbre vin madiranais, vers 1190. La production de céréales reste la préoccupation essentielle des cultivateurs ; l'élevage à l'exception de quelques régions spécialisées, n'a joué qu'un rôle secondaire. On ne saurait négliger les cultures de plantes industrielles comme le lin (don à Saint-Orens par la Comtesse Faquille de vêtement de lin), et le chanvre qui étaient cultivés dans nos régions. Les censiers de Bigorre en font état de 1313 à 1429. Des plantes tinctoriales comme le pastel et la garance donnent lieu a des courants commerciaux internationaux, surtout dans le Midi de la France, entre Méditerranée et Océan Atlantique, en direction des pays du Nord. (4) (5)

Au Moyen-Âge la physionomie agricole de la France est fixée, d'une façon définitive, jusqu'au XIXe siècle.



3. Les échanges commerciaux

Si a l'époque franque, le commerce régional n'est qu'un faible marché, il en est de même au Moyen-Âge pour les échanges s'effectuant à l'intérieur de la seigneurie. Le commerce local est encore marché de surplus ou d&apoos;appoint. La démographie croissante crée des besoins nouveaux, mais cette augmentation de demande est résolue par l'accroissement du défrichement et n'a pas causé de problèmes graves. Les commerçants sont amenés à se grouper et vont organiser des rencontres à l'origine des foires. L'organisation de ces foires n'a existé que parce que la pratique est reconnue et protégée par le seigneur. Plus tard, certaines foires vont montrer vocation internationale. Toutefois, la situation géographique de carrefour est extrêmement importante dans leur développement. C'est en fonction de cette commodité que les marchands vont associer la présentation simultanée de leurs marchandises en certains lieux et époques avec accord du seigneur. Ainsi sont créées les foires de Champagne, de Paris. La description des Foires et marchés en Bigorre donne lieu à la ré:daction des Fors de Lourdes, au XIIe siècle et de Bagnères-de-Bigorre en 1171, des Coutumes d'Aure en 1300, ou de Tournay en 1308. Les réunions ont lieu en des endroits appelés "Oppida", en des carrefours de voies de communications, le plus connu étant celui de Tarbes, en des zones faisant office de frontière (Marcadau = lieu de marché), ou en des carrefours d'agglomérations, dont le marché de Lourdes en 1022. Les marchés se déroulent tous les quinze jours ou toutes les semaines, le jeudi à Tournay en 1307, le mardi à Trie en 1325, tandis que les foires ont lieu de une à quatre fois l'an et durent plusieurs jours. Parmi les foires d'automne, citons celles de Luz, le ler Septembre 1370, d'Arreau le 8, de Guchan, le 29 ; celle de Trie, le 6 Octobre 1325, celle de Galan le 18 Octobre 1308, et celle de Tournay le 30 Novembre 1307. De même, elles voient le jour en Val d'Azun en hiver à la période de Noël, à Galan le 22 Janvier 1318, au printemps ce sont celles de Pâques puis de la Pentecôte en Val d'Azun, le 1er Mai à Tournay, le 22 Mai à Trie. II existe aussi des foires d'été comme à Saint-Pé, à Galan. Ces rassemblements renommés pour l'achat et la vente de certains produits sont sources de prospérité pour les communautés et richesses. Pour le seigneur organisateur, par exemple Roger d'Espagne, seigneur de Bordères et de Vieille Louron (1483). L'organisation juridique et économique est particulière: de nombreux privilèges sont accordés aux particuliers, vendeurs et acheteurs. Ce sont des privilèges de droit privé commercial qui sont à l'origine de la protection des acheteurs, prévue par notre article 2279 "En fait de meubles, possession vaut titre". Citons encore comme privilèges : la sauvegarde du seigneur en ce qui concerne les personnes et les biens des marchands, l'exemption de poursuites judiciaires pendant le temps des foires, l'impossibilité de prononcer des faillites ou des saisies, et le rétablissement du prêt à intérêt. La foire est une personne juridique (personnalité morale) ; elle a son administration, son tribunal, ses règlements administratifs, sa police. Elle est à la base de tout un système nouveau de crédit que va développer encore plus le commerce international. En 1384, un boucher toulousain vend des porcs à un habitant de Guizerix, en Bigorre, et si l'on consulte les contrats de mariage de l'époque, ces derniers citent des draps et des serviettes fines fabriqués en France, ainsi que du drap à Luz en 1445, ou à Ayzac en 1466, ou encore du drap brun de Bourges et du drap de couleur violet foncé, tissé en Flandre, qui servit à faire la robe nuptiale de Florete de Sariac en 1479. Le blé et le vin circulent en des ressorts plus restreints en 1473 et en 1482 la ville de Riscle fait offre de ces produits à Tarbes et à Saint-Pé. Au XVe siècle, Tarbes constitue avec des marchands toulousains un centre d'approvisionnement en drap de couleur et, fournit aussi de la laine de Bigorre. Le fait le plus significatif est celui de ce marchand de Castelnau-Magnoac qui vend en 1417, cinquante peaux de bœufs chez un marchand toulousain. Nous voyons que le transit se fait surtout avec Toulouse. Plus tard cet axe de circulation sera parcouru par les poissonniers, apportant le poisson de l'Atlantique. Mais à partir du XVe siècle, la voie commerciale Toulouse/Bayonne prend de l'importance, sous l'égide des marchands béarnais et d'une politique favorable créée par Fébus. Le drap ang1ais de Bayonne est échangé avec le pastel du Lauragais par 1es marchands de Bagnères-de-Bigorre et de Tarbes en 1422 et 1477. Ces échanges sont assurés par les muletiers de Barbazan-Debat, les charretiers de Lourdes, de Tarbes. À noter un fait original pour d'Arquier, cité en 1411 de Lannemezan, qui pendant près de quinze ans mène des ânes entre Narbonne, Béziers et Toulouse, transportant du vin, des plumes, des cuirs et des chaudrons, avant de s'établir définitivement comme laboureur à Montgiscard. Cependant la guerre de Cent ans et des Flandres provoque le déclin des foires aux XIIIe et XIVe siècles. La Bigorre joue un rôle modeste en matière de transit, le bénéfice en revient aux négociants toulousains et béarnais. (5)



4. Les finances seigneuriales

La plupart des recettes ne sont pas fournies par des impôts mais par des taxes, et elles sont fonction des services rendus par l'autorité publique aux habitants. Les recettes seigneuriales en Bigorre apparaissent très diversifiées, l'analyse des censiers de 1300 et 1313 donne des revenus de moins de 50 livres pour les barons, les chevaliers adoublés les damoiseaux, et les petits nobles possédant une seigneurie réduite à une ou deux exploitations. Les seigneurs riches représentent une minorité quatorze ont un revenu de 50 à 275 livres. Quelques seigneuries sont formées de véritables communautés homogènes, d'autres regroupent plusieurs localités de fiefs très éloignés. La majorité des nobles mènent une vie besogneuse ainsi Arnaud de Nodrest dans sa seigneurie située à Montgaillard ne pouvait vivre que de l'exploitation de son domaine. A partir du XIVe siècle nombre de ces seigneuries disparaissent rachetées par des bourgeois ou annexées par des seigneurs puissants, les Barbazan, les Castelbajac. Les donations, la peste, la récession démographique en plaine, la dévaluation de la monnaie affaiblissent les recettes seigneuriales au profit de seigneurs béarnais venus s'installer en Bigorre : Bernard de Coarraze.

On distingue :
4.1. Les taxes proprement dites

En contrepartie de la protection assurée à l'Église, les seigneurs perçoivent une partie des dîmes. Les aubins, les Juifs et les Lombards bénéficient de la protection seigneuriale, mais ils paient en contrepartie une taxe spéciale et un droit pouvant aller jusqu'a 20 % de la succession, parfois même à toute la succession. Les services de four, de moulin ou de pressoir seigneuriaux donnent lieu à la perception des banalités (17 % des revenus comtaux en 1300 en Bigorre). La police des routes et des foires, l'entretien des voies de communication sont la justification des taxes de péages, tonlieux, travers (passages de rivières). Puisque la police économique est assurée par le seigneur, il est logique de lui attribuer le droit et les profits de monnayage, droit de poinçon, d'étalonnage des mesures, carnagium (viande), salagium (sel).

4.2. La taille

Elle est différente des taxes en ce sens qu'elle est une redevance due aux seigneurs par tous les habitants non nobles. En principe, elle est égale pour tous. En réalité, comme il s'agit d'un impôt global et que la répartition se fait "le fort portant le faible", les gens aisés arrivent à s'en dispenser.

4.3. Les aides

Elles ont un caractère féodal ce sont des impôts perçus en des cas particuliers exemple l'aide au quatre cas ou un caractère d'impôt indirect: droits sur les boissons, octrois.

4.4. Les recettes domaniales

Ce sont les droits perçus sur les serfs droits de chasse et de pêche, droit de garde seigneuriale (jouissance du fief du mineur), redevances provenant de contrat féodal, cens-corvées et droits de mutation de lois et ventes s'il s’agit d'une censive. II n'y a pas d'administration financière spécialisée dans le cadre de la seigneurie. Ce sont les officiers d'administration qui en sont chargés sur ordre du bailli.


L'organisation économique de la seigneurie dans le droit domanial peut paraître dangereuse face à l'autorité royale, tout seigneur est maître chez lui. En réalité, le milieu seigneurial reste regroupé et si le roi a en face de lui des seigneurs qui se veulent indépendants, la soumission d'un seul lui permettra d'étendre son influence sur un territoire plus important en vue d'assurer la restauration de l'autorité publique.


(© M. Guy Dalberny)



Notes:
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES


SOURCES PUBLIEES :

1- J .ELLUL : Histoire des Institutions Themis PUF

2- Essais historiques sur la Bigorre T1, DAVEZAC-MACAYA 1828

3- Annales de la Bigorre DEVILLE 1818

4- Vieux mémoire : causes d'opposition, pour les Syndics des habitants de BAUDÉAN en Bigorre, contre Messire Henri seigneur dudit lieu, J. SALLES 1780

5- Annales du Labeda, t1 BOURDETTE 1898







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Chacun peut apporter son aide concernant le droit domanial de la Bigorre

Entraide apportée par :
- M. Guy Dalberny
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© Marie-Pierre MANET






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