de Marie-Pierre Manet |
Le pont Napoléon à Luz-Saint-Sauveur :
[1] L'aube du troisième millénaire va nous permettre de marquer le 140 ème anniversaire de la venue au centre des Pyrénées des souverains impériaux de la France, et de nous pencher sur l'édification d'une œuvre d'art, posée au cœur de la Vallée du Gave de Gavarnie.La réputation de la station thermale de St-Sauveur les ayant attirés pour toute autre raison que villégiature, Napoléon III et l'Impératrice Eugénie auront marqué leur séjour de ce sceau architectural qui, aujourd'hui, fait l'admiration de nombreux visiteurs.
C'est du Pont Napoléon qu'il s'agit. Situé au bout de St-Sauveur, sur la route de Gavarnie. Il est l'impressionnante porte qui ouvre la Vallée. L'étude de sa construction nous édifiera sur la technique audacieuse de concepteur, et sur l'adresse manuelle des réalisateurs.
Construit par la main d'œuvre locale, il est le témoin de la valeur des anciens Toys, habitants de la Vallée. Que leurs descendants d'aujourd'hui en soient fiers : devant eux se dresse toujours, unissant les deux rives du Gave, l'Arche, qui dans sa magnificence, rappelle leur souvenir.
L'état des lieux avant 1859 :
Pour comprendre l'importance des travaux effectués dans la vallée du Gave, en amont de Luz-Saint-Sauveur (alt 730 m.), il faut établir un état des lieux au XIX ème siècle, avant 1859, date de la venue de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie.
Rive droite du Gave :
Luz-Saint-Sauveur est le chef-lieu du Pays Toy, entité géographique et humaine au cœur des Pyrénées. Un kilomètre sépare Luz de St-Sauveur. Pour arriver à la station thermale, une route large, bordée de prairies, conduit à un pont de pierre superbe, jeté sur le Gave, reconstruit en 1824.
Vers le Nord, Luz est relié à Pierrefitte par la Route Nationale 21, tracée en 1730 par l'ingénieur Polard et terminée en 1844, améliorée grâce aux interventions de l'intendant Mégret d'Étigny, gouverneur de la Gascogne.
Au Sud, une seule voie relie Luz à la montagne : c'est le chemin départemental n°12 (C.D. 12) sur la rive droite du Gave. C'est un chemin dangereux, étroit, mal entretenu, et qui présente plus loin le passage périlleux du Pas de l'Échelle, lieu historique dans la défense du Pays Toy contre les Miquelets, brigands venus d'Espagne (bataille du 14 Septembre 1708).
L'impraticabilité du C. D. 12 est telle que, devant l'importance des travaux à effectuer pour la construction du Pont Napoléon, le maire de Luz, le notaire Forcamidan, prendra l'arrêté suivant :
5 Août 1859 :
" La route Luz-Gèdre n'a pas une largeur suffisante pour permettre le croisement de deux voitures, que dès lors, si une voiture partant de Luz rencontre une autre venant de Gèdre, cela a pour résultat que l'une des deux doit reculer jusqu'à un endroit suffisamment large pour laisser passer l'autre, et dans le cas de vouloir essayer du croisage, de provoquer des accidents fâcheux.
Pour prévenir tout accident, la maire arrête :
Art. unique : tout voiturier conduisant une voiture, char ou charette, ne pourra entreprendre la route que dans les conditions suivantes :
1°) Le départ pour se rendre de Luz à Gèdre devra s'effectuer depuis l'aurore jusqu'à 10 heures du matin. Cette heure passée, aucun départ ne peut avoir lieu.
2°) Le retour de la voiture partie depuis l'aurore et avant 10 heures, comme le départ de toute voiture de Gèdre à Luz ne pourra avoir lieu que dans l'après-midi.
3°) Toute contravention au présent règlement sera punie conformément à la loi".
Le Maire Forcamidan
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Rive gauche du Gave :
Revenons à Saint-Sauveur, bâtie au pied de l'Ardiden, montagne granitique, station thermale déjà connue pour ses Thermes au XV ème siècle.
L'établissement thermal a été rénové en 1830, sur les plans de l'ingénieur départemental Artigala. Le péristyle, soutenu par une double rangée de colonnes d'ordre dorique en marbre gris-bleu, donne aux Thermes son originalité. C'est la renommée de l'efficacité des eaux thermales qui, parvenant dans la capitale, motivera la venue de l'Impératrice Eugénie.
Saint-Sauveur finit à la chapelle St-Joseph, édifice gothique qui regarde la vallée. Là s'arrête l'unique rue. De la chapelle à la gorge du Gave, un chemin promenade conduit au pont de Gontaut, mais il ne peut permettre un désenclavement vers l'amont. Au-delà se trouve un étroit et raide sentier qui mène à Campus. Si on l'emprunte (actuelle route de l'Agnouède), on arrive cinq minutes après à un cirque avec, en son milieu, une ferme ombragée de noyers, entourée de prairies et de bois. Cela indiqué pour situer la légende de la rencontre de l'Empereur avec Monjean de Close, qui aurait donné naissance au Pont Napoléon
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La venue des Souverains :
Le couple impérial est un habitué des villes d'eaux. Chaque été, il fréquente les stations les plus célèbres : Vichy, Plombières, Baden, Eaux-Bonnes, Schwalbach, Arennemberg, et surtout Biarritz. La vie mondaine y est brillante, la Cour se déplace avec les souverains, les Cours d'Europe y préparent leurs alliances. St-Sauveur n'est pas du tout cela, et ce sont d'autres raisons qui vont y attirer la couple impérial.
Napoléon III a eu une jeunesse tapageuse : il en a hérité la maladie de la pierre, dont les crises le font cruellement souffrir. Vichy est sa station thermale de prédilection. En 1859, il a 51 ans. L'Empire est à son apogée : Magenta et Solférino ont assuré la prééminence de la France dans le règlement des conflits européens. Au traité de Villafranca, le 11 Juillet 1859, Napoléon III pourra imposer le principe des nationalités qui lui est cher. Nice et la Savoie reviendront à la France, l'Italie se séparera de l'Empire austro-hongrois.
L'Impératrice Eugénie, âgée de 33 ans, vient de se voir confier de hautes responsabilités : c'est elle qui a dirigé la politique intérieure, en présidant le Conseil des Ministres pendant l'absence de l'Empereur participant à la campagne d'Italie. C'est elle qui décidera la venue à St-Sauveur. S'il s'agissait d'une villégiature de repos, Biarritz, où elle se rend chaque année, était mieux indiqué. C'est donc une raison de santé qui s'imposera. Dans son ouvrage " Autour de St-Sauveur ", le médecin thermal Jacques Caudruc affirme que l'Impératrice, après son avortement d'avril 1853, a suivi une cure à St-Sauveur dans un parfait incognito, cela dans le cadre du séjour annuel à Biarritz. En 1856, par le médecin du Prince Impérial, on sait que les couches de l'Impératrice avaient été difficiles : sa santé en avait été ébranlée. Les eaux de St-Sauveur, onctueuses et efficaces par la présence de barégine, sont célèbres pour soigner ces états : c'est là la première raison.
[1] Le Prince Impérial a trois ans. C'est sans doute le désir d'un second héritier, souhaité pour affermir l'Empire - à son apogée en 1859 - qui sera l'autre motif du déplacement à St-Sauveur, où les " aygues imprégnadéras " (les eaux d'imprégnation) ne pourront que favoriser la réussite du projet.
Saint-Sauveur est connue des médecins de la Cour : le roi de Hollande, Père de Napoléon III, y est venu en 1807 avec la reine Hortense, qui ont marqué leur passage. La duchesse d'Angoulême en 1823 et la duchesse du Berry en 1828 y ont séjourné : deux colonnes en marbre ont été élevées en leur honneur, l'une à l'entrée de St-Sauveur sur le gouffre, l'autre dans le parc.
D'illustres personnages, se rendant à Gavarnie, ont traversé la station dans la première moitié du siècle : Thiers, Vigny, Georges Sand, Flaubert et Victor Hugo. Le voyage est décidé la seconde quizaine de Juillet 1859. Une lettre d'Achille Fould, ministre d'État et haut-pyrénéen, annonce l'arrivée au Préfet. Le 17 Août, le départ du train impérial a lieu à 7 heures, et son arrivée en gare de Tarbes dans la nuit à 2 h. 40 m. Le trajet de Tarbes à St-Sauveur se fera en calèche le lendemain, après la visite des Haras de Tarbes .
L'installation :
Les souverains seront logés à l'Hôtel Brauhauban, en face du parc, et meublé par le mobilier du château de Pau. D'autres logements seront fournis aux accompagnateurs : le général Bosquet, aide de camp, le Préfet, le Sous-Préfet, l'Ingénieur en chef, les membres du Cabinet civil de l'Empereur, ainsi qu'aux dames de la Maison de l'Impératrice.
L'escorte comprend 60 fantassins et 10 cavaliers.
Les souverains feront 18 jours de cure, à raison d'un bain par jour. Ils resteront 23 jours et seront de retour à Biarritz le 11 Septembre.
Les festivités étant fort réduites à St-Sauveur, l'Empereur invitera ses ingénieurs à étudier un programme de travaux qui seront mis en chantier rapidement. Lors de son retour à St-Sauveur pour inspection, il constatera avec satisfaction la réalisation de nombres de ceux-ci
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Le programme des travaux :
1- Agrandissement de l'Établissement thermal.
2- Construction de Pont Napoléon [2] et aménagement des abords rive gauche et rive droite.
3- Achèvement de la route impériale n° 21 de St-Sauveur à Gavarnie et à la frontière espagnole.
4- Création de l'Asile Ste Eugénie à Luz (aujourd'hui maison de retraite N. D. de l'Espérance).
5- Construction de la chapelle St Pierre, dite de Solférino, et de la chapelle de St Sauveur (architecte M. Boeswildwald).
6- Reconstruction de l'Hôpital militaire de Barèges et de l'Établissement des Bains.
7- Réalisation du chemin de fer de Lourdes à Pierrefitte.
8- Construction des routes thermales :
Route n° 1 : de Bagnères de Bigorre à Bagnères de Luchon, par Capvern, Labarthe, Arreau et le col de Peyresourde.
Route n° 2 : de Bagnères de Bigorre à Barèges par le col du Tourmalet.
Route n° 3 : d'Argelès aux Eaux-Bonnes par le col du Couret, Arrens, le col de Tortes.
Route n° 4 : du Pont Neuf de Lourdes à Bagnères de Bigorre par Germs et Gazost.
Route n° 5 : embrachement du Tourmalet sur Bagnères de Luchon par Gripp et Payolle.
Le projet de ces deux dernière routes a été abandonné .
Les réalisateurs du Pont Napoléon :
Toutes les décisions seront entérimées par Eugène Rouher, ministre d'État et des Travaux Publics. Les Ingénieurs en chef des Ponts et Chaussées seront MM. Scherrer et Marx.
L'Ingénieur ordinaire de l'arrondissement Ouest Bruniquel, élève de polytechnique, fut l'auteur du projet du Pont Napoléon [2] et maître d'œuvre de l'exécution. Le constructeur des Ponts et Chaussées Guillemin, élève de l'école de Châlons, eut la responsabilité de l'exécution sur place, avec le chef de chantier Grateloup. A Paris, l'Inspecteur général Raynaud s'attacha à retoucher le projet pour lui donner son caractère monumental.
L'entreprise Ernest Gariel, de Paris, assura les travaux de construction et d'aménagement du Pont et des abords rive droite. L&apoe;entreprise Mendiondo, de Tarbes, fut chargée de relier le Pont à la station thermale, sur la rive gauche
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Le Pont Napoléon - Altitude : 761 mètres.
Pourquoi un pont ? :
Est-ce un simple caprice de souverain qui a motivé cette construction ?Au vu des projets lancés à son arrivée à St-Sauveur, cela paraît improbable. La station n'a qu'une seule rue qui s'arrête à la chapelle : il faut donc un désenclavement en amont, qui rejoindrait le chemin n° 12 de Gavarnie, afin d'éviter le lointain passage du Gave, en aval par le Pont dit du Gave.
D'autre part, le C. D. 12 rive droite est très étroit. La voie qui traverserait St-Sauveur et rejoindrait la route de Gavarnie par un Pont plus large, situé en amont, permettrait le passage des voitures et charrettes, pouvant doubler aisément.
De plus, est prévue la construction de la chapelle St Pierre, dite de Solférino, située rive droite du Gave. La construction d'un pont raccourcirait le trajet de la station à la chapelle : le passage par le pont du Gave en aval oblige à une remontée longue et pénible.
Il faut rappeler enfin, pour mémoire, la légende qui veut que l'Empereur, ayant rencontré à St-Sauveur un berger de Campus nommé Montjean de Close, ancien sergent de la Grande Armée de Napoléon 1er, s'était laissé convaincre par celui-ci de la nécessité d'édifier le Pont, qui aurait été, pour les générations futures, un monument élevé au souvenir du séjour de l'Empereur .
Description :
C'est Napoléon III lui-même qui a choisi l'emplacement précis et le type de pont. Voyant deux rochers assez rapprochés au-dessus du torrent, il a l'idée de faire une passerelle américaine, puis s'arrête à faire un pont de pierre, en harmonie avec la puissance et la majesté du site, situé en fin de l'avenue de l'Impératrice.
Le tablier du pont a 68 mètre de longeur, et est situé à 63 mètes au-dessus du Gave. L'arc qui le soutient a 42 mètres de diamètre. La voûte repose directement sur les rochers à pic qui bordent le Gave. La hauteur du niveau de l'eau à la naissance de la voûte est de 40 mètres : elle est de 63 mètres à la clé de voûte et de 65 mètres au niveau de pont.
La largeur de la voie charretière est de 4 mètres et celle des trottoirs est de 0,85 mètre. Ils sont placés en encorbellement et soutenus par des consoles en pierre. Une balustrade en fonte pesant 24.000 kg couronne le pont
.Pour perpétuer le souvenir du séjour de l'Empereur et de ses bienfaits, la Commission Syndicale de la Vallée de Barèges fit élever une colonne de 12 mètres de hauteur, surmontée d'un aigle colossale, à l'extrémité orientale du Pont. La colonne, formée de 14 anneaux, est en pierre de Lourdes. L'aigle fut fait à la marbrerie de Bagnères. La hauteur totale est de 14 mètres. La colonne porte l'inscription :
" A leurs Majestés impériales Napoléon III et l'Impératrice Eugénie.
Les habitants de Luz-St-Sauveur reconnaissants "
Les matériaux de construction :
Les maçonneries cachées (environ 700 mètres cubes), formant le corps de la grande voûte, sont en schistes de la carrière d'Enfer, exploitée sur la route de Pierrefitte. Celles non soumises à de durs efforts (environ 1.800 m3) viennent du Rioumaou proche. Le sable est extrait de la carrière d'Esterre. Les maçonneries représentent un poids de 6.500 tonnes.
La pierre de taille pour les bandeaux de la voûte, pour les corniches et les trottoirs, les pierres de la colonne à l'entrée rive droite, sont du calcaire de Lourdes. Il en a fallu 400 m3, chaque pierre dépassant le mètre de longueur.
La pierre de Lourdes
Qu'a donc de particulier cette pierre utilisée pour cette construction ? Il est dit qu'elle sera de bonne qualité, sans défauts, ni fils, ni moies ou flaches, non gélive ou susceptible d'être gelée. Elle sera taillée de manière à être posée sur son lit de carrière, de telle sorte que la pression soit toujours opérée perpendiculairement à ce lit.
Les faces, rives, lits ou joints seront bien particulièrement dégauchis. Elles seront de la même carrière et commandées en échantillons.
Tous les parements devront être bien plans, dressés et dégauchis. Leurs arêtes seront vives, sans écornures, ni ébrèchements, ni pièces rapportées. Leurs joints seront bien droits, bien alignés.
Tout l'art des tailleurs de pierre réside dans le choix de pierres et dans la réalisation des travaux.
Achat des pierres de Lourdes
Une délibération du Conseil Municipal de Lourdes fait état des tractations menées entre les responsables locaux de la Ville.
Décembre 1859 :
M. Grandon, fondé de pouvoir de M. Gariel, entrepreneur du Pont Napoléon, sollicite l'autorisation d'exploiter une carrière communale, dans la crainte qu'il est que les tailleurs de pierre de St-Sauveur ne pourront plus lui fournir à temps les pierres nécessaires. Il offre de payer à la commune une somme de 3 F, par m3, travaillé ou non travaillé, se réservant pour lui le mœllon.
Le Conseil Municipal autorise l'exploitation de une ou plusieurs carrières, aux conditions proposées.
Lacade, Maire L'extraction de 30 m3 de pierre sera payée 91 F, le 14 mars 1862.
Autres fournitures au prix du Franc Or
Le ciment : 170 F. la tonne (3.500 F actuel), alors que la tonne de ciment vaut 750 F aujourdapos;hui.
La chaux de Soulom : 40 F. le m3 (800 F. actuel).
La maçonnerie en pierre de taille, hourdée au mortier riche formé de 700 kg. de ciment pour 800 litres de sable : 150 F. le m3.
Celle des murs de tête (les tympans) au mortier bâtard constitué de 95 kg. de ciment et 400 litres de chaux maigre pour 900 litres de sable : 25 F. le m3.
La bois valait 111 F. le m3 pour le sapin de Lutour et 133 F. pour le chêne.
Du bois de chêne fut demandé à la Ville de Lourdes, comme le précise cettte délibération du Conseil Municipal :3 février 1860 :
Le sieur Grateloup, conducteur de travaux du Pont Napoléon à St-Sauveur, présente une demande tendant à obtenir la concession de 15 à 20 arbres d'essence chêne, pris dans la forêt de Subercarrère, et nécessaire à la construction du dit Pont.
Le Conseil Municipal est heureux de fournir le bois demandé, pris dans la coupe extraordinaire de 1860 et, à défaut, sur le surplus de la forêt, à la charge de verser dans la caisse de la commune le prix de l'estimation qui en sera faite.
La main d'œuvre [3]
La main d'œuvre fut recrutée en majorité, sur place, les ouvriers du pays ayant bonne réputation de travailleurs.
26 Octobre 1860 :
Un rapport de l'Ingénieur Marx donne des instructions précises à l'entrepreneur :
" A partir du 1er Novembre, M. Gariel devra avoir sur le chantier 36 maçons pour le ciment, 40 gâcheurs pour servir ces maçons, 20 maçons pour le mortier de chaux grasse et 40 manœuvres pour le service de ces maçons, le gâchage et l'approche des matériaux, faute de quoi les travaux seront continués en régie. "12 Mars 1860 :
Une note du même Ingénieur autorise à faire travailler les dimanches et jours fériés si la mesure paraît nécessaire.
La rénumération du travail manuel :
Pour une journée de 10 heures de travail effectif, les hommes touchaient :
- Manœuvre : 0,23 F./heure, soit 4,50 F. actuels. Aujourd'hui, l'ouvrier non qualifié touche 40 F./heure SMIG).
- Ouvrier maçon, tailleur de pierre, charpentier : 0,35 F./h.
- Compagnon maçon, tailleur de pierre, charpentier : 0,50 F./h.
La location d'une voiture à cheval se payait 5,50 F. la journée.On peut admettre que le F. or vaut 20 F. actuel .
Conception et réalisation de l'arche :
Le problème crucial était de savoir comment assurer la mise en place du cintre en bois sur lequel serait bâtie la voûte en maçonnerie. Deux projets furent successivement étudiés.
A - Projet initial
Le projet dressé à la hâte dès Septembre 1859, envoyé à Paris pour préciser la décision prise sur place, fait état d'un cintre " retroussé ". Technique consistant à créer un arc en charpente, monté par moitié sur chaque rive, puis basculé en travers de la gorge, au moyen de câbles de retenue. Ces cintres sont relativement légers.
Mais Paris prescrit l'emploi d'un cintre fixe, rigide, à la solidité assurée. Les pièces de bois seraient mises en place à partir d'une passerelle portée par deux câbles lancés au-dessus du cintre, et supportant un plancher léger
.B - Le projet de la tour
L'Ingénieur Bruniquet, peu enchanté de cette solution " balançoire ", propose le 11 Novembre 1859 la formule de la Tour en bois, permettant le montage du cintre sans la passerelle.
Le rôle de la Tour est d'assurer le maintien à la verticale du cintre en bois, que son étroitesse (4 à 5 mètres) dans le sens du courant et sa hauteur libre de 21 mètres, rendaient très vulnérable à la " balaguère " (le vent d'Espagne), de grande force à certaines périodes. Dès lors, les câbles fixés aux rives, prévus au premier projet, auraient laissé au cintre une trop grande liberté de déplacement, de par leur longueur, risque élevé avec ce nouveau projet
.C - La tour
Partant du Gave, la Tour montait jusqu'au haut du cintre. D'amont en aval, elle avait 12 mètres de côté, et 7 mètres dans l'autre sens ; constituée à chaque angle par 8 hauteurs de poutres en bois de chêne et sapin, superposées au-dessus de l'étiage et consolidées d'une part entre elle par un croisillon de poutrelles, et d'autre part, solidement amarrées au rocher. On obtint ainsi plusieurs étages qui menaient à la clé de voûte.
La Tour parvenue à la naissance de la voûte, on établit un pont de service où se plaçaient les ouvriers pour faire le cintre et, plus haut, pour poser les voussoirs devant former la voûte, ainsi que les corbeaux portant le tablier.
Sur la plate-forme supérieure, en amont et en aval, s'élevaient deux charpentes inclinées, qui venaient, de part et d'autre, rejoindre la clef du cintre. Ce dispositif était destiné à protéger le cintre des effets du vent et des vibrations produites par le passage, sur la passerelle de service qu'il soutenait, du chariot transporteur des pierres de taille, lequel chargé jusqu'à trois tonnes.
Pour consolider plus encore, était prévu à mi-hauteur de la Tour, une charpente inclinée s'en détachant et prenant appui 28 mètres plus à l'aval, au fond du lit du Gave, sur un massif de maçonnerie. Le document nous montrant la Tour avec la voûte terminée ne fait pas apparaître ce dispositif complémentaire
.D - Le tablier
Le projet prévoit d'alléger le volume de maçonnerie entre voûte et chaussée au moyen de plusieur " voûtelettes ". Cet allégement a été obtenu en fait par deux voûtes étroites allant d'une rive à l'autre sous la chaussée. Cela explique la curiosité résidant dans le fait que le dessous de la chausée est creux : les chauves-souris y logent et bien des gamins de Luz ont ainsi exploré les deux galeries intérieures du Pont.
Les trottoirs sont placés en encorbellement et soutenus par des consoles en pierre de taille.
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Le déroulement des travaux :
Suite au désir de Napoléon III, la désision ministérielle du 28 Novembre 1859 porte approbation du projet de construction du Pont.
22 Décembre 1859 : L'entrepreneur Gariel présente sa soumission pour l'attribution des travaux.
28 Décembre 1859 : Le montage financier du projet est accepté par l'entrepreneur.
12 Juin 1860 : Affichage de l'arrêté de circulation sur le C. D. 12, route de Gavarnie, pendant la durée des travaux.
1er Septembre : Cérémonie pour la pose de la première pierre par M. Garnier, Préfet des Hautes-Pyrénées, avec bénédiction par M. Lacroix, curé de Luz.
26 Octobre 1860 : Première note de l'Ingénieur Marx qui enjoint à l'entrepreneur d'avoir 136 ouvriers sur le chantier (revoir chap. sur la Main d'œuvre [3]), forte densité sur ce périmètre réduit.
Second rapport ordonnant que les travaux soient arrêtés le 20 Novembre, àcause des gelées. On devra, à cette date, avoir exécuté la voûte, les tympans et les piédroits de la voûte. Ce qui fut réalisé le 16 Novembre.
16 Décembre 1860 : On décintre la voûte. Le tassement observé est inférieur &agrve; un millimètre.
Avril 1861 : Reprise des travaux par l'entreprise Gariel. Ils seront menés bon train, car le Pont sera livré à la circulation le 30 Juin 1861.Au début de l'année 1860, lors des travaux préparatoires, on eut à déplorer un décès accidentel. Dans son rapport du 19 Janvier 1860 sur la mort de Jean Cazaux, ouvrier atteint d'un éclat de roche après une explosion de mine et ayant décédé, l'Ingénieur Bruniquel propose d'accorder à sa veuve un secours de 300 Francs
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Le financement :
Le projet initial de Décembre 1859 prévoyait :
Échafaudages : 74.022 F.
Travaux de construction : 161.384 F.
Somme à valoir : 9.593 F.
Total : 245.000 F.Le décompte définitif du 26 Avril 1862, signé Rouher, ministre des Travaux Publics, se décompose ainsi :
Travaux à l'entrepreneur : 294.044 F.
Travaux en régie : 24.592 F.
Total : 318.636 F.Il faut ajouter les indemnités dues pour dommages causés aux propriétés voisines du chantier.
8 Décembre 1860 :
Propriétés Lieu-dit Nature Indemnités Cerizo Dominique Sans Labourable 30 F. Cerizo Nicolas Campus-Debat Bois-taillis 28 F. Loulousans Bois-taillis 10 F. - Caube Nicolas Campus-Debat Bois-taillis 25 F. Borderolle Justin Campus-Debat Bois-taillis 7 F. Récupération : après démontage de l'échafaudage, on revendra le bois l'ayant constitué. L'achat du bois s'étant élevé à 100.000 F., on retirera de la vente aux particuliers la moitié de cette sonne : 50.000 F. .
La colonne :
Elle a été édifiée pour remercier l'Empereur de sa générosité, témoignée par la construction du Pont qui désenclave au sud la station thermale de St-Sauveur.
15 Mai 1862 : le notaire Forcamidan, Maire de Luz, fait voter la délibération suivante : " Le Conseil Municipal vote l'érection d'un monument qui perpétue le souvenir du séjour de leurs Majestés parmi nous, qui témoigne de la reconnaissance que nous ressentons pour les bienfaits dont leurs Majestés Impériales nous ont comblé, et vote une souscription privée, destinée à subvenir aux frais de l'érection du monument, où toute personne du canton pourra s'inscrire, et qu'avec le produit de cette souscription, il sera érigé aux abords du Pont Napoléon un Arc de triomphe sur le frontispice duquel sera gravée en lettres d'or l'inscription proposée par la maire
:
" A leurs Majestés Impériales
Les habitants du canton de Luz reconnaisants.
Le Conseil Municipal ouvre la souscription en votant la somme de 100 F. et nomme les membres de la Commission chargée de recueillir la souscription.
L'Arc de triomphe, prévu par le plan de l'Ingénieur Guillemin et qui devait être placé sur l'avenue de l'Impératrice, à vingt mètres du Pont côté ouest fut remplacé par la Colonne qui à l'orient, ouvre le Pont sur la route de Gavarnie.
18 Avril 1863 : Délibération.
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La Commission a reccueilli la somme de 2.949 F. par la souscription ouverte l'an dernier. Le monument coûtant 3.470 F.. Le Conseil Municipal décide que la somme nécessaire pour couvrir les frais soit prise sur les fonds libres de la commune, et vote la somme de 600 F.
Forcamidan, Maire.
L'allée Napoléon :
Partant de l'entrée ouest du Pont, un escalier conduit à une grille posée à la naissance de la voûte. Faisant suite, la promenade en lacets, qui relie la route au Gave pour arriver à la Fontaine du Hibou en passant sous le Pont, fut faite par ordre de l'Empereur, et à ses frais.
C'est près de cette fontaine que M. Ollé Laprune, professeur de philosophie à l'E. N. Supérieure, composa à cette époque l'éloge de Descartes, qui fut couronné par l'Académie française.
La source du Hibou (Hount det Gahut) n'est pas exploitée. L'eau sort du rocher au bas d'une large et haute brèche : elle est peu radioactive. Cette " Hount " est une des cinq sources de St-Sauveur, avec les sources des Dames, de Hountalade, de Layré Dufau et de Fabas.
Du côté opposé (C. D. 12), la descente d'arrête à la naissance de la pile, sur un promontoire en saillie au-dessus du torrent. De cet endroit, l'aspect de l'énorme voûte, qui se déroule à cinquante mètres plus haut, est saisissant.
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L'inauguration :
C'est à Biarritz, où la Cour est en villégiature, que Napoléon III décide une visite d'inspection le 26 Septembre 1863. Accompagné de la marquise Montijo de Guzman, mère de l'Impératrice Eugénie, il arrive à St-Sauveur vers onze heures, visite la nouvelle chapelle et le Pont. Il descend au bord du Gave par la rampe de la promenade, et aura cette parole :
En vérité, l'art ici semble le disputer à la nature Il repartira le jour même par Bagnères et la vallée de l'Adour, pour rejoindre de soir le château de Pau.
L'inscription sur la plaque au milieu du Pont porte cette simple phrase :
" Le 26 Septembre 1863, l'Empereur Napoléon III a visité ce monument dont il avait désigné l'emplacement pendant son séjour à St-Sauveur en 1859. "
Les abords du Pont :
Parallèlement à la construction du Pont et pendant la même période, est entrepris l'aménagement des deux extrémités du Pont, rive droite et rive gauche. Si l'on se rappelle l'état des lieux avant 1859 :
Rive droite est le C.D. 12, méchant chemin qui va à Gavarnie. Il va falloir s'y raccorder, le Pont lui étant perpendiculaire.
Rive gauche, rien n'existe entre St-Sauveur et le Pont, la rue unique de la station thermale s'arrêtant à la chapelle, près du parc anglais.Les mêmes ingénieurs qui ont conçu le Pont vont tracer les plans et diriger les travaux. L'entreprise Gariel travaillera rive droite et l'entreprise Mendiondo de Tarbes œuvrera rive gauche.
L'achat des terrains d'assiette :
31 Mars 1860 :
Un arrêté préfectoral établit la liste des terrains à acquérir pour la construction de la route impériale à St-Sauveur.
Rive gauche - quartier Campus-Debat
S. M. Napoléon III : prairie de 120 m2.
Lons Padré : prairies de 15 m2 et 194 m2.
Souberbie Thomas : prairies de 50 m2 et 40 m2.
Borderolle Justin : cour, prairie, bois de 3.350 m2.
Rive droite - Quartier Sans :
Cerizo : pré de 434 m2.
Manautet Jacques Lolou : pré de 1.964 m2.
Fournou Petité : pré de 462 m2.
Quartier Abie :
Cerizo : labourable de 885 m2 et prairie de 703 m2.
Seul Lons Padré fera l'objet d'une mesure d'expropriation de 209 m2 pour 338 F. le 16 Mars 1861.
L'achat des autres terrains sera réalisé le 22 Mai 1860 .
La réalisation des travaux des abords :
10 Février 1860 :
M. Ernest Gariel présente son devis établi d'après le cahier des charges. Il s'agit de travaux sur la rive droite du Gave, sur une longueur de 720 m., entre le ravin de Cerizo et le Pas de l'Échelle. Ces travaux doivent être terminés le 15 Juillet 1860. Ils comprennent les terrassements, les transports, la construction de caniveaux, d'aqueducs, de chaussée pour un total de 63.000 F.M. Joseph Mendiondo, entrepreneur à Tarbes, présente de même son devis pour les travaux à exécuter rive gauche, côté St-Sauveur, sur 464 m., comprenant : les terrassements, les transports, la construction de caniveaux, de cassis, d'acqueducs, de chaussée pour un montant de 33.0000 F.
Sont évalués dans les devis les rétributions de main-d'œuvre :
1. Prix de la journée :
Pour un manœuvre : 1,50 F. soit 30 F. actuels et en proportion d'aujourd'hui, 10 fois moins payé.
Pour un maçon : 2,50 F.
Pour un paveur : 3 F.
Pour la location d'une voiture à cheval : 5,50 F.16 Mars 1860 :
L'ingénieur en chef Marx accepte les projets et devis précédents relatifs à la construction de la route aux abords du Pont Napoléon, sur les deux rives.
A l'apurement des comptes, le coût des travaux ressort modifié:
M. Gariel touche 77.390 F., alors que M. Mendiondo ne reçoit que 24.257 F.
2. La route nationale 21 de St-Sauveur à Gavarnie
Napoléon III avait grand désir d'aménager la Route Nationale 21 de St-Sauveur à la frontière espagnole. Il voulait relier Luz à Huesca pour stimuler le commerce entre les deux pays, commerce des vins surtout.
L'ingénieur Bruniquel établit un projet le 16 Mars 1861, approuvé le 29 Mars. Ce projet détaillait par sections de route les travaux envisagés : terrassements et ouvrages d'art.
1 er Section : du Pas de l'Échelle au Pont de Gèdre, travaux évalués à 30.000 F.
2 ième Section : du Pont de Gèdre à Gavarnie, travaux évalués à 580.000 F.
3 ième Section : de Gavarnie à la Frontière espagnole (port de Gavarnie 2.282 m.) travaux évalués à 1.176.000 F.
4 ième Section : de Gavarnie au Pont de la Prade, travaux évalués à 138.000 F.L'ensemble de ces portions de route mesurant 37.500 mètres, la route ayant 4 m. de largeur.
L'ingénieur présenta une variante (jaune) entre le Pont d'Esdourroucats et le Chaos, d'un montant de 300.000 F., et une variante (bleue) au passage du Port de Gavarnie avec 1.500 mètres de tunnel pour un montant de 3.150.000 F.
La 1 ère Section de ces travaux fut réalisée en trois ans et inauguée par le Préfet des Hautes-Pyrénées le 3 Août 1864.
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Conclusion :
Cent quarante ans après la construction du Pont, continuée par les travaux d'aménagement de la Vallée supérieure du Gave, on peut constater les bienfaits apportés par une simple cure thermale suivie à St-Sauveur par les souverains de la France.
La cure ne fut pas bénéfique dans le projet d'un second héritier donné à l'Empire. L'Impératrice ne gardera pas un bon souvenir de son séjour à St-Sauveur, et lassée des infidélités de son époux, elle reportera son affection sur le prince impérial. Mais il n'a fallu que quelques jours de présence au cœur des Pyrénées pour y laisser une œuvre d'art qui s'inscrit audacieusement dans le paysage vertigineux des gorges du Gave.
En remontant de Luz, le vieux chemin de Gavarnie (le C.D.12), le Pont apparaît comme une porte gigantesque donnant accès dans la haute Vallée. L'arche jaillit alors dans sa hardiesse, son élégance, sa légèreté.
Et c'est d'en bas, des abords du Gave, que son aspect est le plus grandiose. Lorsqu'on lève les yeux pour l'admirer, elle prend la forme d'un ruban tendu d'une montagne à l'autre, ou plutôt, celle d'un arc découpé dans l'azur du ciel.
Il est, pour le pays Toy, la merveille qui prépare le voyageur à la découverte, au bout de la route, de l'éblouissante beauté d'une autre merveille naturelle, le cirque de Gavarnie, faisant du cœur du massif pyrénéen un lieu touristique de grande renommée.
Jean Cassou - Roger Mézaille
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Notes
[1] Sources : Gallica.bnf.fr
Bibliothèque Nationale de France
Bulletin de la Société Académique
des Hautes-Pyrénées
Société Académique
des Hautes-Pyrénées - 1998.
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[Commune de Luz-Saint-Sauveur]
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