de Marie-Pierre Manet |
[1] Certains historiens ont décrit le faste de la civilisation raffinée du XVIIe siècle et ont montré une France se relevant des ruines causées par les guerres de religion et par la Fronde, et atteignant avec Louis XIV, le "Roi Soleil", l'apogée de sa puissance.Mais, il y a, à la médaille, un revers qu'on laisse volontiers dans l'ombre : c'est la condition infiniment précaire du peuple. Voici quelques détails sur la situation générale non seulement de France mais également en Bigorre : la misère avec son cortège obligé, les épidémies et la mendicité.
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L'un des plus épouvantables fléaux qui sévissaient alors et déjà depuis fort longtemps était la peste. Durant la guerre de Cent ans, elle s'abattit sur l'Europe entière et fit périr, dit-on, 23 millions d'habitants. Au XVIe siècle, la peste fit de nouveau son apparition en France et la Bigorre ne fut pas épargnée. En 1558, elle est à Bagnères où elle fit mourir les 5/6 des habitants. D'une enquête faite par le juge royal de cette ville en 1648 et comprenant les dépositions des témoins oculaires, extrayons ce passage si évocateur dans sa naïve simplicité : " La peste arriva, peste affreuse qui emporta des six parts les cinq des habitants ; il ne demeura en vie que ceux qui avaient pris la fuite et s'étaient retirés loin de la ville. Et lorsque tous ceux qui étaient restés dedans furent morts, la peste cessa ".
En 1628, elle apparaît de nouveau, ça et là, alarme les consuls et les habitants des communes qui prennent les mesures de protection nécessaire : interdiction d'entrée dans la ville des personnes venant des régions infectées, mise en quarantaine des étrangers, service de garde aux portes. Malgré les précautions prises, le fléau s'installe et fait de cruels ravages. Ainsi, dans le Lavedan, en 1653, 400 personnes meurent à Arrens ; la contagion se répand et gagne Marsous (550 décès). Aucun (430 décès), Sireix et Bun. Par " des hardes transportées des dits lieux, le mal se communique à Artalens et à Arbouix, à Beaucens et à Préchac ". A Argelès et à Vieuzac, il meurt 412 personnes.
Cette terrible peste de 1652-1653 s'étend des montagnes du Lavedan à toute le Bigorre. Elle s'abat sur Bagnères, terrasse un grand nombre d'habitants, sème partout l'épouvante. Beaucoup de notables quittent la ville. La municipalité déserte l'hôtel-de-ville et tient ses séances au milieu des Vignaux. Le marché a lieu à deux kilomètres du bourg, au " haut de la côte ". La contagion s'étend, prend des proportions inquiétantes. L'hôpital, débarrassé de ses hôtes habituels, est archi-comble. On est obligé de construire au-dessus du rocher de la Peyrie plusieurs baraques en planches pour recevoir les malades. D'autres sont reclus dans leurs maisons.
On fait venir un " chirurgien de peste " de Toulouse à qui on offre 300 livres par mois s'il ne s'infecte pas, 400 livres s'il s'infecte.
Comment devait-on être soigné dans cet hôpital - analogue certainement aux autres hôpitaux de l'époque ? On l'ignore. Mais en lisant le poignant tableau que fait H. Lavedan des hôpitaux de la capitale, dans son beau livre " Monsieur Vincent, aumônier des galères ", nous pouvons imaginer comment il pouvait être :
" Des couches disloquées, branlantes, des draps immondes, troués, poissés de baves et de crachats, de crasse et de poussière et plus durs que voiles de barques ; et des pots cassés, des vases d'étain, de plomb jamais récurés, des bois pleins de punaises, d'ignobles pansements déroulés, traînant partout, coulés à terre sur un plancher maculé selon le temps d'une boue humide ou sèche, et où, à moins de patauger parmi les épluchures, les flaques d'eau sale et de déjections, le pied cherchait comment se poser sur la pointe ; enfin (sur les lits) et dans la pénombre des rideaux déchirés, les pauvres - pauvres calamiteux, étalant leurs plaies, et montrant aussi à nu, sur des visages qui n'avaient déjà plus rien d'humain, l'angoisse d'une âme ardente à rester malgré tout dans ce débris de corps ou n'aspirant plus qu'à s'en évader "
La mortalité est telle que bientôt on ne trouve plus personne pour porter les cadavres au cimetière. Cependant, grâce à l'appât d'un salaire de 100 livres et à la " dépense ", Domenge Lacraberie, de Soulagnets et Thomas de Goudon, accceptent " de servir de corbeaux pour ensevelir les morts ". On oblige les personnes atteintes du mal à accomplir cette funeste besogne ; les corps sont portés au cimetière de l'Hôpital St-Barthélémy, situé hors de la ville.
Ce Thomas, de Goudon, fut également chargé de désinfecter les maisons des malades. Le 6 décembre 1653, il avait désinfecté 127 maisons ; pour le défrayer de ses achats de drogues, il reçut une indemnité de 1.900 livres.
Mais le fléau continue à ronger la ville. La municipalité fait alors vœu de faire célébrer 50 messes par l'archiprêtre et les prébentiers, 50 autres par les Dominicains et autant par les Capucins de Médous...
Les localités voisines de Bagnères furent aussi frappés par le terrible mal ainsi que Tarbes et les environs. Lourdes semble avoir échappé à l'épidémie, mais ce fut en prenant une mesure énergique. On fit abattre le Pont Neuf qui reliait la ville avec le Lavedan infecté...
Il n'est pas étonnant qu'après un tel fléau paralysant depuis si longtemps l'agriculture et le commerce par la mortalité et la terreur qu'il inspirait, la misère se soit installée en maîtresse dans le pays.
Il fallut emprunter vivres et argent. Et l'on voit, dans les registres de l'époque, la ville de Bagnères demander en 1653, 300 livres pour payer " les drogues, les médicaments, le blé ", elle quémande 12 sacs de froment au curé de Montgaillard et 12 sacs de seigle au curé de Lies, 18 sacs de méteil à un apothicaire. Deux ans après, encore grande disette partout. La commune de Poumarous doit emprunter 100 livres pour achat de blé et d'avoine ; Trébons, 1.500 livres ; Labassère, 622 livres ; Orignac, 124 livres ; Bernac-Debat, 140 livres pour les mêmes raisons...
Et ces chiffres, dans leur sécheresse sont bien éloquents !
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La misère s'apesantit, cruelle, sur nos aïeux...
Alors, on voit (et c'est général dans tout le royaume), beaucoup d'enfants et d'adolescents des deux sexes, abandonnés, sans famille, sans guide et sans soutien vagabondant dans les campagnes. Dans les périodes de crises, de mauvaises récoltes, leur nombre s'accroît des journaliers sans travail et sans ressource, mourant de faim ; ils mendient, volent parfois, implorent le secours des habitants des villes. Leur nombre constituait une plaie et un danger permanents. Aussi, dès 1653, un arrêt du Parlement de Toulouse ordonne-t-il à chaque communauté de nourrir elle-même ses pauvres. Mais cet écrit ne résolvait pas ce grave problème, car comment imposer une telle charge à des communes réduites à l'extrême pauvreté ? En juin 1662, Louis XIV recommande la fondation dans tout le royaume d'ateliers et d'ouvroirs destinés à recevoir les enfants pauvres, et aussi à combattre le vagabondage et la mendicité. Mais l'effort royal se bornait à des recommandations ; tout retombait sur la charité privée.
Il fallut attendre vingt ans pour qu'en Bigorre, on put agir.
A la fin de 1682, un chanoine de Tarbes, Jean de Cruchette, administrateur des hôpitaux de la ville, laissa par testament une somme de 6.900 livres destinée à la fondation de l'Hôpital des Jeunes Pauvres. A l'annonce de cette libéralité, le vieux maréchal de Navailles de Montaut-Bénac joignit à ce legs un don de 5.000 livres. De Gascor, curé de Larreule, légua 594 livres. Le juge-mage d'Aignan d'Orbessan fit savoir qu'il allait payer 1.000 livres léguées aux hôpitaux par son père le baron de Castelvieilh et qu'il ajoutait 200 livres pour l'Hôpital des jeunes Pauvres. De Cazenave, garde du corps, légua 700 livres. Bientôt après 2000 livres furent léguées par Domenge Laffaille et 2.600 livres par Valence, ancien prieur de Saint-Blaise.
Le 14 janvier 1683, une Commission formée de trois vicaires généraux capitulaires, de deux chanoines et de quatre consuls tarbais, se réunit et après avoir constaté que, pour fonder l'œuvre, on ne pouvait compter ni sur l'appui financier du gouvernement, ni sur celui des Etats de la province, la création de cette maison des pauvres appelée Hôpital général de la Clôture (aujourd'hui Hôpital civil et militaire) fut décidée.
Dix ans après, elle fonctionnait...
Un règlement minutieux et très long (il ne comprend pas moins de 6 grandes pages et 53 article) règle, dans les moindres détails, l'organisation de cet hospice spécial. N'y sont admis que les enfants et adolescents pauvres de la Bigorre, et " d'autant qu'ils sont de vrais fainéants, on n'aura aucune complaisance pour leur paresse ". Ils doivent être vêtus de blanc avec une croix rouge sur la poitrine. Ils sont tenus de travailler toute la journée. Depuis Pâques jusqu'à la Toussaint , lever a lieu à 4 heures ; en hiver, à 5 heures.
On les occupait à la fabrication des draps, de la toile, de la serge et des bas faits au métier.
Un pourvoyeur était chargé de l'alimentation, de la propreté des locaux et des personnes, et une gouvernante avait la charge de l'instruction et de la direction générale des filles.
Toute infraction au règlement était très sévèrement punie : privation partielle de nourriture et cachot.
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La création de cet hospice délivra-t-elle complètement la Bigorre de ses mendiants et de ses vagabonds ? La misère diminua-t-elle ? On ne le sait pas d'une manière certaine. Mais on peut supposer logiquement que ce ne fut qu'un palliatif.
Le mal était profond et ses causes nombreuses. Tout conspirait en effet à empêcher une marche rapide vers le mieux-être : - épidémies périodiques se propageant rapidement par suite de manque d'hygiène et de l'insalubrité des habitations étroites, humides, mal tenues ;
- manque de soins corporels ;
- mauvaise alimentation ;
- et, par dessus tout, état social inique.
Jean Lafaille.
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